Space’ibles, l’Observatoire de Prospective Spatiale, initiative du CNES (www.spaceibles.fr), vient de finir sa deuxième année de travail. Les participants à Space’ibles travaillent autour de cinq thèmes : « Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ? », « Gouvernance, débris & enjeux juridiques », « Métropoles, Espace & Souveraineté », « Produire dans l’Espace » et « Vivre au quotidien dans l’Espace ». Cette année de travail s’est fini, en convention, les 7 et 8 novembre 2018, à Strasbourg. Cet article et 4 autres rendent compte des travaux des ateliers pour l’année écoulée. Ils ne sont pas des prises de position définitives mais des appels au dialogue sur lesquels construire les prochaines réflexions.
Il se pourrait que, 63 ans après une première tentative, l’Europe relance une commission constituante. Entre temps, le monde a bien changé. Il s’est étendu au-delà de la géosphère. Et, la finitude de la planète Terre est effacée par l’infinité des ressources qu’offrent l’Espace. Alors, l’Europe serait bien inspirée de lever les yeux vers le ciel pour enrichir les travaux constitutionnels qui vont l’occuper pendant les années qui viennent.
En effet, au dessus de l’Europe se trouve toute la variété des activités humaines outre-terrestres : industrie orbitale, manufactures martiennes, exploitation minière de la ceinture d’astéroïdes, robotique, sidérurgie et chimie en microgravité… la liste des activités humaines hors de la géosphère ne cesse de s’allonger. Cette effervescence d’activités met surtout en lumière l’incapacité de l’humanité à développer des activités dans un cadre légal homogène. Il ne serait guère réducteur de parler des trois voies contemporaines du développement réglementaire de l’économie spatiale. Il y a tout d’abord le canal légal historique. Il s’appuie sur les traités qui se sont succédés de 1963 à 1984. Ces derniers tentaient de poser les fondements d’un droit spatial tourné vers un développement durable des activités humaines au-delà de la zone terrestre. Mais cette première voie du développement du droit spatial est loin de faire l’unanimité.
Face à l’incapacité de faire évoluer ce droit spatial de base, les opérateurs spatiaux privés — ainsi que certains petits états — et les assureurs de ces mêmes activités se sont accordés implicitement sur un bouquet de bons comportements afin de soutenir le développement des activités commerciales outre-terrestres. Cette “politique” pourrait se résumer ainsi : bien construire et bien référencer chaque pièce du puzzle spatial afin de réduire au maximum les risques d’éparpillement des débris et assurer une gestion concertée des orbites terrestres. Le bon vieux système du “bonus-malus” des assureurs a fait des émules. Une des vertues de cette autorégulation volontaire a par exemple permis, à proximité de la Terre, de réduire le suréquipement des installations qui devait leur assurer leur capacité d’évitement. Mais cette deuxième voie d’un droit spatial ne semble pas non plus devenir majoritaire.
Car, à l’opposé de ces deux approches de la réglementation spatiale, c’est une approchedarwinienne du développement des activités spatiales qui est trop souvent constatée. Sous ce terme, il faut bien entendre “loi du plus fort”… Il est bien connu que “dans l’Espace, on ne vous entend pas crier”… Au-delà de la plaisanterie, cette réalité est soutenue par les nouvelles grandes nations du spatial. Des nations d’autant plus fortes que leur cadre législatif fiscal général et extraterritorial leur assure de régulières rentrées financières pour toute transaction dans leurs monnaies qu’elles ont su imposer comme les monnaies de référence pour les échanges commerciaux.
Si ces nations sont partisanes d’une autorégulation libérale des marchés, elles savent aussi utiliser les autres voies réglementaires quand cela tourne à leur avantage. Ainsi, leurs pavillons, malgré ses contraintes fiscales, sont très courus. En effet, que valent quelques pourcents de taxation en contrepartie de marchés attractifs ? D’autres états leur ont emboîté le pas. Et les pavillons maritimes de complaisance historiques se sont fait spatiaux afin d’offrir des alternatives au seul pavillon américain. Ainsi, les “usuals suspects de la spéculation” se nomment toujours Île de Man, Barbades, Sri Lanka… et portent bien d’autres noms encore…
En réaction à cette évolution plus ou moins chaotique, les acteurs du commerce spatial ne pouvaient se satisfaire de leur seule politique de bonnes intentions. Les installations humaines s’étalant de plus en plus loin de la Terre, le système financier terrien n’était plus en capacité de remplir ses fonctions. Il n’en fallait pas plus pour qu’une nouvelle fois, les acteurs d’un commerce en voie d’embrasser tout le Système solaire s’organisent entre eux. C’est dans ce contexte de coopération supra-nationale qu’est née, sur Mars, la première place boursière outre-terrestre. Dès ses premiers instants, elle s’est appuyée sur la BCTS, la Block Chain Trans Solaire. Comme son nom l’indique, la BCTS est une block chain qui certifie les transactions de ses membres, qui assurent la traçabilité des biens et produits de l’Espace, qui organise une économie circulaire grâce à la gestion partagé d’un catalogue à l’échelle du Système solaire et qui offre une monnaie de transaction indépendante du dollar ou du Yuan, la Chine n’est pas en reste… permettant ainsi aux utilisateurs de la BTCS de se dégager des états “taxeurs”.
Pendant ce temps… l’Europe paraît bien éloignée de toutes ces considérations. A moins que la perspective d’une nouvelle une constitution soit aussi l’occasion de replacer l’Europe comme acteur majeur de la construction d’une société humaine spatiale durable. L’Europe constituée en nation, peu importe qu’elle soit fédérale, confédérale ou d’un tout autre statut, offrirait une citoyenneté forte à ses ressortissants d’outre-espace, qu’ils soient nés sur Terre, dans une station spatiale ou sur tout autre corps céleste, elle offrirait à l’Euro un gouvernement identifiable permettant ainsi à la devise européenne de se placer comme “monnaie étalon” alternative au dollar ou au yuan. L’Europe constitué en nation offrirait un pavillon spatial à ses entreprises, un pavillon européen garant d’un développement économique durable de la Terre jusqu’aux confins du Système solaire…
Par contre, l’échec de l’Europe à se donner une constitution laisserait la place libre à un développement économique aux bénéfices des acteurs spatiaux les plus forts… ou bien la place libre à une fuite loin de la Terre de forces économiques et donc humaines qui préfèreront cette extraterrestrialisation au risque d’un asservissement économique que d’autres semblent prêts à accepter.La balle est dans le camp de l’Europe !
Les articles conçus pour les Space’ibles Days :
- Jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour conquérir l’Espace ?
- Gouvernance, débris & enjeux juridiques
- Besoins d’espace pour société : Métropole, Espace & Souveraineté
- Produire dans l’espace
- Vivre au quotidien dans l’espace
- Au-delà de la Terre par Jean-Jacques Dordain, parrain de Space’ibles
- A nouvelles conditions climatiques, nouveaux paradigmes économiques avec Thales Alenia Space
Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2018 » de Futurhebdo
Lien vers le numéro spécial « Space’ibles Days 2017 » de FuturHebdo
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