De l’étude de la motricité, à la modélisation du corps, en passant par la pédagogie de notre système organique, le corps a toujours eu une grande place dans les univers vidéoludiques. On l’associe au personnage que l’on contrôle, mais aussi au corps qui tient la manette. On l’inclue dans le gameplay avec les manettes à capteurs de mouvements, avec la réalité virtuelle. Sous une forme ou une autre, le corps est un des éléments centraux du jeu vidéo, dans sa conception, sa perception ou son approche.
PAS À PAS
Le corps humain est l’unité de mesure de toute forme de création vidéoludique. Parce qu’on conçoit des personnages à l’écran, ou simplement parce que l’on pense au confort de jeu : le positionnement des mains sur la manette, l’enchainement des touches qui doit être agréable, intuitif ou simplement possible. Même la conception des accessoires de jeux ont une dimension de confort corporel : les fauteuils de gaming, les pédales et volants pour certains jeux de simulation, etc. Constructeurs et développeurs portent une attention toute particulière à l’ergonomie de leurs créations. Et donc au corps de façon globale.
Mais il s’agit là d’une première approche, simple, de notre lien avec le jeu. Le premier niveau, en quelques sortes, d’une aventure qui en compte plusieurs. Après l’ergonomie, il convient de faire place au niveau suivant : son personnage. Car à l’écran, notre avatar bouge, agit, saute, explore, parle. Ses mouvements sont fluides et réalistes, quel que soit son character design. Et pour cela, tout commence dans des salles de captations, via différents procédés, dont la motion capture. De plus en plus souvent, on fait appel à des acteurs, à des personnes qui endossent la combinaison de captation. La numérisation permet de s’approcher au plus près du réel, de transposer l’expérience, les gestes, les attitudes à l’écran.
Hellblade Senua’s sacrifice fait partie des titres à avoir apporté une petite révolution dans le domaine de la motion capture. En combinant plusieurs technologies, les développeurs ont permis de rendre ce procédé quasi instantané : la captation s’intègre directement au visuel du personnage, permettant de le numériser intégralement en temps réel, là où il fallait capter puis appliquer différents filtres visuels et concevoir l’avatar autour du squelette précédemment créé.
CORPS AUGMENTÉ, CORPS QUESTIONNÉ
De nombreux jeux le montrent : les augmentations corporelles, les modifications externes ou internes, le lien à la robotique et aux androïdes altèrent notre rapport au corps joué. La série de jeux Deus Ex nous présente des humains augmentés, dans un univers cyberpunk très présent, une dystopie forte où ces ajouts mécaniques deviennent des outils de surveillance. Dans Detroit Become Human, le jeu interroge sur l’apparence : est-ce que le corps est constitutif de l’humain ? Est-ce que cet androïde peut être considéré comme humain parce que son apparence est une parfaite réplique d’un homme ou d’une femme ?
Le corps est souvent dédoublé, mis en abîme, déstructuré. Le jeu narratif nous plonge dans des histoires fortes, où l’on peut expérimenter, s’identifier, ou au contraire, laisser suffisamment de distance pour se déconnecter émotionnellement de son avatar. Nombreux sont les titres à proposer une réflexion sur notre apport et notre rapport au jeu vidéo et au corps que l’on y incarne : la fin de Bioshock Infinite est une réflexion quasi philosophique sur les mondes et les corps que l’on se crée, que l’on modélise, que l’on maltraite. Before the storm (spin-off de la série Life is strange) questionne aussi les paradoxes, l’incarnation de soi dans le cadre d’un jeu (via une partie de jeu de rôle ou une pièce de théâtre interne au titre).
Il existe cependant très peu de représentations de corps handicapés dans le jeu vidéo. À cela s’ajoute la question de la diversité, encore timide même si elle commence à émerger de multiples façons. Personnages handicapés, racisés, questions liées à la transidentité, il existe encore de nombreux axes où le jeu vidéo ne va malheureusement pas, à l’exception, peut-être, de quelques petits studios indépendants qui proposent, eux aussi et à leur manière, des réflexions autour du corps, de la mort, de son incarnation et du rapport au joueur. Car derrière la question du corps se trouve celle de l’identification, de pouvoir se transposer, être transporter, se retrouver dans les histoires multiples que le jeu vidéo a à nous raconter. Ces débats montrent à la fois un manque de représentation nécessaire et une volonté d’invisibilisation délétère que tend à combattre de nombreux studios indépendants à travers leurs créations.
DU CORPS AU CORPS
Corps et jeu vidéo sont étroitement liés, pour ne pas dire totalement imbriqué. La relation au corps y est multiple : le corps joué et transcrit ; le corps acteur derrière son écran ; le corps-avatar qui peut être un animal, une créature ou un humanoïde. Et chacun a ses questionnements et ses problématiques. Au-delà des simples interrogations d’appropriation de l’avatar, se cache en réalité notre rapport au monde réel et virtuel, notre capacité à s’identifier, celle à pousser au plus loin les possibilités pour montrer les dérives de certaines pratiques. Des univers cyberpunk aux mondes plus doux, en passant par l’aventure, les énigmes ou à des moments en réalité virtuelle où notre corps devient la manette même de notre expérience, les possibilités sont infinies.
Mais toujours, il y aura un corps dans l’équation, d’un côté ou l’autre de la manette ou de tout outil permettant de jouer et d’explorer les univers numériques infinis.
Crédit image : Unsplash | Vadim Bogulov
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