Deux ou trois choses que « INTERSTELLAR », le film de Christopher Nolan, nous dit sur demain…« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !
Il a beaucoup été écrit sur Interstellar, à propos de la vulgarisation que ce film propose concernant, par exemple, les décalages temporels à proximité des trous noirs, des avancées scientifiques que le film a permis en calculant en images les équations proposées par les scientifiques sur ces mêmes trous noirs, sur les incohérences et les licences qu’il s’est autorisé au profit du rythme et de la fluidité de la narration et son happy end improbable… En matière de prospective, ce film est aussi riche en informations.
Sans être un film sur le mensonge, Interstellar en comporte trois. Il y a le mensonge du personnage qu’interprète Matt Damon qui attire l’équipage de l’Endurance sur la planète Mann, ne supportant pas l’idée de mourir seul. Ce mensonge suit de peu celui du professeur Brand qui avoue sur son lit de mort qu’il n’a jamais été question de sauver l’humanité en la déplaçant… Seul le plan B était raisonnablement accessible ; la sauvegarde de l’humanité pouvant etre assurée grâce à la cargaison de 900 kg d’embryons congelés, embarqués dans les soutes de l’Endurance.
Les deux premiers mensonges sont de l’ordre de l’individus. Ils n’engagent que ceux qui y croient… Le mensonge qui nous intéresse plus particulièrement dans une perspective prospectiviste est le premier mensonge proféré, de manière plutôt anodine, dans la narration du film. Mais on quitte la responsabilité individuel pour s’engager dans le mensonge d’état.
C’est l’enseignante de Murphy, la fille de Cooper, le futur pilote de l’Endurance, qui nous le rapporte : l’humanité subsistant avec peine sur une planète devenu hostile, les autorités modifient l’Histoire afin de ne plus « gaspiller les énergies ou les moyens de l’humanité à de vaines causes ». C’est ainsi que, désormais, les livres d’histoire enseignent que l’homme n’a jamais mis les pieds sur la Lune. Que les missions Apollo n’ont été qu’une gigantesque opération d’intoxication qui a participé à la chute de l’ex-URSS… Ce mensonge n’est sans rappeler ceux institutionnalisés par l’administration de Big Brother, dans le « 1984 » de George Orwell.
A bien y regarder, la petite Murphy n’est pas tant coupable d’avoir raconté à ses camarades de classe une histoire prohibée – sa parole seule n’aurait pas pesé lourd face à celle de l’enseignante – que d’avoir apporté à l’école un objet devenu par son essence hors la loi : le livre. Par sa nature physique, stable, et par son mode de publication, le vieux livre daté d’avant le contrôle de l’histoire est devenu un « blasphème » permanent proféré à la face de la vérité officielle.
Dans notre réalité, ce mensonge met surtout en exergue la fragilité de notre civilisation contemporaine qui se repose de plus en plus sur des supports électroniques à la pérennité fragile. Une civilisation occidentale, qui, plus que jamais, se fie à des outils « on line » pour diffuser la connaissance.
Cet accès à la culture on line pose au moins trois questions : la première concerne la distance historique que seul un média « figé » permet : il n’est pas inintéressant de se replonger dans les dictionnaires du début du XXe siècle pour prendre la mesure du temps écoulé en confrontant notre connaissance à des écrits qui nous paraîtront étranges ne serait-ce que par leur vocabulaire. Un exemple : le mot « nègre » est toujours utilisé dans les publication des premières décennies du siècle précédent…
La deuxième question pourrait être appelée la question de la pondération relative des informations. A une requête, un moteur de recherche va répondre par une multitude d’occurrences, présentées par ordre décroissant de pertinence selon les critères de son algorithme de classification – un bon webmaster saura faire monter le ranking d’un site quelconque – et non selon une pertinence encyclopédique. On pourrait résumer la situation par une sentence qui énoncerait que « si, en tout, Internet n’est que du bruit, ne trouve que celui qui sait ce qu’il cherche » !
Pour finir, reste la question de la création permanente, en temps réel, d’une culture du mainstream, cette connaissance adaptée selon les critères moraux du temps présent, par une armée de contributeurs zélés et bénévoles. Conséquence des deux premières interrogations, parce que on perd la distance historique à l’information, parce que on perd la pondération des informations entre elles et que, par facilité, l’utilisateur se contente souvent d’une seule source encyclopédique, la culture occidentale , à terme, pourrait bien finir par se nourrir d’elle-même, n’alimentant sa connaissance que de ce qu’elle souhaite entendre, une forme de cannibalisme intellectuel, au risque d’un tarissement de la connaissance elle-même.
Ainsi, un mensonge similaire à celui auquel les autorités, en la personne de l’enseignante, souhaitent voir la famille Cooper adhérer pourrait bien découler d’un enchaînement de causes comme précédemment décrites…
Au-delà de la polémique autour de l’accès à la connaissance et de la lutte entre pouvoir et des contre-pouvoirs, Interstellar propose aussi une vison assez cohérente de ce que, un jour, la conquête spatiale pourrait devenir. Oublions d’emblée les performances exceptionnelles quoique improbables des navettes spatiales qu’utilisent Cooper et ses compagnons d’infortune. Ne considérant que les Ranger, les deux petites navettes, à moins d’envisager une invention de rupture géniale aussi bien qu’improbable en matière de propulsion spatiale, le rapport performance sur volume utile apparent laisse perplexe… Pour les Lander, c’est moins évident. On peut tout de même se demander où le carburant est stocké dans ces vaisseaux qui font des va et vient surface-orbite comme on va chez le boulanger…
Ce qui nous intéresse vraiment est le moment où Cooper se réveille dans la clinique, à bord de la station spatiale qui l’a miraculeusement recueilli. Il regarde par la fenêtre de sa chambre. Des enfants jouent au foot. Et le ballon frappé avec trop d’énergie s’envole pour aller briser la vitre d’une… de l’autre côté du cylindre, au delà de l’axe de rotation autour duquel est bâtit la clinique et toute la ville qui l’entoure. Si l’image est forte et juste, les décorateurs ne sont cependant pas allés jusqu’au bout de leur démonstration. En effet, dans une telle station, il n’y aura aucune surface plane. Si non, les objets tomberaient des tables. Car, à bord de la station Cooper, la gravité est remplacée par la force centrifuge : la station spatiale, cylindrique, tourne sur elle-même. Les personnes se tiennent debout, sur la surface interne du cylindre, la tête en direction de l’axe du cylindre, les pieds collés à la parois, cherchant à s’échapper vers l’espace… Ainsi, une table sera elle-même une section de cylindre.
Si la table était plate, comme sur Terre, les objets auraient tendance à s’en échapper en direction des bords. Le seul point d’équilibre étant la ligne centrale du plan, parallèle à l’axe de rotation de la station spatiale. Cette ligne est la plus proche de ce même axe de rotation. A cette place, un objet posé sur cette ligne est le moins soumis à la force centrifuge qu’à tout autre endroit du plan de la table. En effet, dès que l’objet s’éloigne de part et d’autre de cette ligne, il s’éloigne aussi de l’axe de rotation et est donc soumis à une force centrifuge croissante : à vitesse de rotation constante, cette force est proportionnelle à la distance à l’axe de rotation. Pour que les objets restent en place, sur la table, au sol… il faut donc que les plans épousent la courbure du cercle dont le rayon est la distance effective à l’axe de rotation. Clair, nan ???
Ainsi, la ferme de Cooper, reconstituée grâce à la bienveillance du jeune cadre dynamique aurait, elle aussi, du être adaptée, « cylindrifiée ». Les lits de Cooper, père et fille, ne pouvant, eux, n’être placés, dans leurs chambres, que parallèlement à l’axe de rotation de la station spatiale, sinon les patients auraient la sensation d’avoir le bassin plus haut que les extrémités du corps qui, elles auraient tendance à « tomber », celles-ci se trouvant soumis à une force centrifuge plus importante que le milieu du corps. Pour placer un lit perpendiculaire à l’axe de rotation, il faudrait lui faire prendre la même courbure qu’une table. A savoir si on se reposera suffisamment dans un tel lit-berceau… Dans cette station spatiale, on pourrait aussi évoquer le fait qu’à chaque étage d’une maison, les habitants sentiraient une gravité différente : en montant dans les étages, ils se sentiraient plus légers, en se rapprochant de l’axe de rotation de la station et, à contrario, pèseraient de plus en plus lourd vers les étage inférieurs, c’est à dire vers l’extérieur.
En tout cas, ces stations spatiales seront un terrain de jeu formidable pour les designers et autres architectes de demain ! Les objets du quotidien, la maison, la ville, tout changera… Sans parler des enfants qui, nés dans un tel environnement, auront à réapprendre à vivre dans un monde plat, une fois qu’il remettront le pied sur un planète…
Alors… Vivement demain !
Toutes ces analyses sont également rassemblées sur le site www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon et l’œil des auteurs !
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