MINORITY REPORT ou « Une société peut-elle traiter la criminalité de manière prédictive ? » | Ce que la SF nous dit sur demain

Olivier Parent Commentaires fermés sur MINORITY REPORT ou « Une société peut-elle traiter la criminalité de manière prédictive ? » | Ce que la SF nous dit sur demain
MINORITY REPORT ou « Une société peut-elle traiter la criminalité de manière prédictive ? » | Ce que la SF nous dit sur demain
Deux ou trois choses que « MINORITY REPORT », le film de Steven Spielberg, nous dit sur demain… 

« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !

Avec

 



Minority report fait partie des quelques films adaptés de l’œuvre immense de Philip K. Dick. On pourrait tout aussi bien citer Blade Runner de Ridley Scott, Total Recall de Paul Verhoeven, celui de Len Wiseman ou Paycheck de John Woo. Bien que ces deux derniers n’aient jamais acquis une notoriété similaire à celle de leurs prédécesseurs…

Les adaptations cinématographiques s’autorisent toujours certaines “licences” par rapport à l’œuvre originale. Cependant Minority Report a su garder une signature toute “dickienne” : un petit élément de rupture, de l’ordre du fantastique, dans la réalité tangible. Rien de bien méchant — on ne tombe pas dans la magie — mais suffisamment pour que de cet accident émerge une alternative fascinante et dérangeante dans laquelle l’auteur fait se développer son intrigue. Le film Minority Report respecte ce précepte : les précogs viennent donner au monde futuriste et matérialiste du film la rupture nécessaire à l’aventure dans laquelle va “tomber” John Anderton, joué par Tom Cruise, et qui va l’inciter à s’interroger sur sa propre humanité.

Ce constat stylistique noté, le film propose surtout une réflexion sur notre citoyenneté dans un avenir plus ou moins proche, une vision de la ville de demain et une interrogation sur la place de l’individu dans cette cité futuriste, pas si éloignée de nous.

La ville du film c’est Washington, en 2054. Elle nous présente plusieurs facettes d’elle-même. On la voit “classique”, au début du film, lors de la première intervention Pré-Crime… on la voit high-tech, quand Tom Cruise s’enfuit en sautant de voiture — magnétique — en voiture… on la perçoit industrieuse lors de la construction du coupé Audi, avec un Cruise/Anderton chanceux glissé à l’intérieur et, enfin, on la découvre pauvre et laissée-pour-compte lors du changement d’yeux du flic en fuite… Or, c’est bien là un des mérites du film : proposer au spectateur une prospective de la ville dans toute sa diversité.

Il faut bien l’avouer, quand, de nos jours, les urbanistes s’emparent de l’avenir de la ville, il en ressort habituellement une image homogène, quasi aseptisée, d’un espace dans lequel l’individu peut avoir du mal à se projeter. Un exemple frappant de cette tendance sont les travaux que de nombreux cabinets d’urbanisme ont proposé pour Bangkok, la capitale qui s’enfonce dans les sables du delta du fleuve Chao Phraya. La ville y est flamboyante que les concepts décrivent des villes flottantes, des villes-pont, de villes modulaires… Il n’en reste pas moins qu’à chaque fois, chacun peut se demander où il se situerait dans cette cité qui ne laisse guère de place à la différence, une cité qui semble nier les inégalités — bien que l’on puisse souhaiter qu’un jour, chacun puisse vivre dignement — qui semble ne proposer qu’un seul avenir commun à l’humanité. A contrario, la ville de Minority Report décrit cette diversité de vues, sans nier la violence des inégalités.

Une fois le décor urbain posé, on peut s’attarder à la place que tient l’individu dans cette ville multiple.

Si l’écueil de la voiture volante est évité en ne montrant des engins aériens high-tech destinés qu’aux forces de l’ordre, le film propose néanmoins une belle évolution des transports en commun avec ces véhicules qui circulent sur des pistes magnétiques. Ils semblent autonomes. Ils circulent sur les pistes dédiées. Chaque usager peut choisir sa destination. Une fois libéré, la voiture doit se rendre d’elle-même là où elle sera utile à d’autres voyageurs. Les voitures présentées dans le film semblent ne pouvoir embarquer que deux ou quatre passagers. On peut en imaginer d’autres tailles qui pourraient emporter une dizaine, une vingtaine de personnes. Les voitures pourraient tout aussi bien circuler en convoi quand un groupe de personnes à besoin de se déplacer… Une fois les concepts de base posés, les alternatives et dérivées sont nombreuses !

En son temps, le film avait aussi marqué les esprits avec le « pistage » commercial auquel les individus étaient soumis. Si aujourd’hui, chacun d’entre nous est suivi au travers de ses navigations Internet, de son téléphone ou de sa carte de crédit, dans Minority Report, c’est le corps humain qui est le moyen du pistage, l’iris de l’œil, pour être plus précis. Cette identification faite au moyen d’un élément du corps, ce changement du rapport au corps est central dans le film. Les précogs sont prisonniers de leurs corps qui leurs imposent des visions prescientes… Les prisonniers sont enfermés dans leurs corps plongés dans une catalepsie cauchemardesque artificielle, le personnage joué par Tom Cruise change d’yeux pour échapper à l’identification corporelle devenue généralité dans cet avenir pas vraiment utopique… Et les passants sont « prisonniers » de leurs corps qui ne semblent pas avoir la liberté de refuser les cookies des boutiques qu’ils croisent sur leur chemin.

Dès aujourd’hui, nous acceptons d’être pistés quand nous nous rendons sur les sites internet avec nos ordinateurs, quand nous acceptons les cookies, ces petits fichiers que les sites, plus ou moins marchants, déposent dans nos ordinateurs pour nous identifier. Ces sites et les centrales publicitaires peuvent ainsi nous proposer des publicités toujours les plus pertinentes selon notre profil qui se construit au gré de nos navigations. Nous avons bien sûr la liberté de refuser les cookies au risque de ne plus bénéficier de l’ensemble des services proposés par les sites visités. Les passants, dans le film, ne semblent pas avoir la liberté de refuser ce type d’identification, impossibilité renforcées par l’utilisation de cette technique par les forces de l’ordre, d’où la nécessité pour le super flic passé fuyard de changer son identité « oculaire » !
Et de détails en détails, sans crier gare, le film, en définitive, décrit un monde, une société totalitaire qui n’en porte pas le nom… Une société dans laquelle il vaut mieux être riche, en bonne santé et en règle avec la loi plutôt que pauvre, malade et en fuite… Une dystopie à peine exagérée de notre présent, un beau conte prospectiviste en quelque sorte… Un vrai exercice de prospective qui, tout en racontant un avenir probable, nous interroge sur notre présent et nos choix de citoyens !

 


 

Toutes ces analyses sont également rassemblées sur le site www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui  éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon et l’œil des auteurs !

 


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