PROXIMA ou « Les femmes sont-elles des astronautes comme les autres ? » | Huffington Post | Ce que la SF nous dit sur demain

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PROXIMA ou « Les femmes sont-elles des astronautes comme les autres ? » | Huffington Post  | Ce que la SF nous dit sur demain

Deux ou trois choses que « PROXIMA », le film d’Alice Winocour, nous dit sur demain…
« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares » parole de prospectiviste…


 

Une production le Comptoir Prospectiviste / FuturHebdo pour
C’est demain du Huffington Post

 


Réalisation : Alice Winocour
Scénario :Alice Winocour en collaboration avec Jean-Stéphane Bron
Acteurs principaux :Eva GreenMatt DillonLars Eidinger

Durée : 107 min.
Année : 2019


Le film Proxima d’Alice Winocour est un film d’anticipation qui n’emprunte aucun des codes du cinéma de science fiction. A priori, on pourrait croire que ça n’est qu’un film qui raconte les relations entre une femme astronaute et sa fille, Stella, âgée d’une dizaine d’années : la maman, Sarah, jouée par Eva Green, doit expliquer à sa petite fille que, pendant un an, elle ne la verra plus le temps d’une mission à bord de la station spatiale internationale, en orbite autour de la Terre.

Proxima est pourtant bien un film d’anticipation car l’action se déroule au moment où l’humanité envisage sérieusement d’envoyer un premier équipage humain à destination de la planète Mars. À cette fin, l’héroïne fait partie des trois astronautes qui vont passer un an à bord de la station ISS, tous hublots fermés, sans contact visuel direct avec la Terre, tout cela pour simuler le voyage vers la planète rouge. C’est la mission Proxima. Le but de la mission est, entre autres, d’étudier sur les humains les effets de l’absence de contact direct avec leur planète-mère sur une longue période. 

Proxima est aussi un film de fiction car les membres de cet équipage sont américains, russes et français, au titre de l’Europe. Cependant, qu’en est-il de la Chine, une des nations devenue des plus actives en termes d’exploration spatiale ? Mystère… De plus, dans cet avenir pas si lointain, l’expérience que l’équipage va être amené à vivre se fera à bord de ce qui semble être l’actuelle station ISS. Or, l’administration américaine, sous l’impulsion du président Trump, a pourtant annoncé qu’elle arrêterait de financer la station spatiale internationale au-delà de 2024, c’est à dire demain. La situation décrite dans le film sous-entend-elle qu’un nouvel accord a été trouvé ? L’Europe a-t-elle augmenté sa participation au financement d’ISS, ce qui expliquerait la présence de l’astronaute européenne ? 

Et puis, dans quel état se trouve ISS qui, cet automne 2019, fête les 21 ans du lancement de son premier module ? A-t-elle été entretenue, réparée, “augmentée” ? Pour s’entraîner à un voyage vers Mars, qui, pour le seul trajet aller, durera entre six et neuf mois, a-t-on ajouté à ISS un tambour gravitationnel ? Ce dispositif imaginé et conçu aussi bien par des auteurs de science fiction que des scientifiques a pour but d’offrir aux futurs voyageurs un lieu, sûrement étriqué dans les premiers prototypes, mais en tout cas doté d’une gravité plus ou moins importante en fonction du diamètre du tambour et de sa vitesse de rotation afin de maintenir les corps humains en état fonctionnel tout au long du trajet. La gravité même faible d’un tel dispositif évitera une perte de masse musculaire trop importante, maintenant également un bon niveau de calcification du squelette des astronautes. Cet anneau gravitationnel leur évitera d’arriver sur Mars dans un état physique tel qu’il leur serait très difficile d’assurer leur mission sur la planète rouge même si cette dernière est dotée d’une gravité qui ne représente que le tiers de celle perçue sur Terre.

Par contre, ce qui est de l’ordre de la réalité c’est bien l’entraînement que subit Sarah et ses deux compagnons russes et américains. Dans cet avenir accessible, les humains qu’ils soient astronautes, spationautes, cosmonautes, taïkonautes et autres vyomanautes (Inde) demeurent encore, ne serait-ce qu’au plan physique, des être quasi sur-humains. Ils suivent un entraînement âpre tant pour le corps que l’esprit. Dans le cas de Sarah, à ces difficultés s’ajoute sa nature : parce qu’elle est femme, elle subit des propos sexistes… parce qu’elle est mère élevant seule sa fille, elle doit s’arracher à sa fille et lui expliquer seule qu’elle va être absente pendant un an… aussi parce qu’elle est femme, Sarah s’impose des efforts supplémentaires pour prouver la légitimité de sa présence dans cette mission : on la voit faire durer un exercice dans une centrifugeuse à plus de 9 G, bien au-delà du temps nécessaire ou habituel… le genre de contraintes qu’aucun des compagnons masculins de Sarah ne s’oblige à subir… d’autant moins que c’est de l’un d’entre eux que viennent les principaux reproches sexistes ! Les quelques paroles de réconforts prodigués par une femme russe, admiratrice des femmes cosmonautes de l’ex-URSS n’auront que peu d’effet sur une Sarah torturée par la fatigue, les doutes et les sanglots de sa fille partie vivre chez son père, le temps de la mission… On est loin de l’avenir spatial fantasmé par la science fiction, avenir dans lequel tout un chacun pourra envisager à volonté un séjour dans l’espace. 

Mais, l’entraînement avance… la petite fille découvre son nouvel environnement… la mère dompte ses angoisses et les procédures avec l’aide de Thomas Pesquet et celles de ces compagnons masculins de plus en plus bienveillants… l’esprit de corps finit par apparaître au sein de l’équipage… le papa de la petite Stella parvient à ne pas manquer l’avion pour lui permettre de voir sa mère une dernière fois, avant le décollage, bien que cela se déroule derrière une vitre pour éviter tout risque de contamination à quelques heures du décollage…

Puis, on voit les trois astronautes se glisser péniblement dans l’habitacle étriqué de la capsule Soyouz… là, il ne faut pas être claustrophobe ! Cette seule image montre les efforts, les développements et les innovations qui restent à accomplir pour faire sortir l’exploration spatiale de sa phase préliminaire, voire archaïque : à l’image de cette minuscule capsule, ISS reste et demeurera pour longtemps encore tout sauf un lieu de vie. ISS est avant tout un laboratoire tant pour les expériences qui y sont menée que par l’expérience qu’est à elle seule la présence de ces humains dans cet environnement à la limite de la salubrité sanitaire et mentale : les humains, la-haut, sont eux-mêmes les rats d’un laboratoire nommé ISS ! 

Et c’est la mise à feu. Sur le pas de tire, dans la nuit de la steppe kazakh, tout le monde pleure : les épouses, les pères et les mères, le papa de la petite Stella qu’il porte sur ses épaules. Elle, non, elle ne pleure pas. Elle ne pleure plus. Le visage éclairé par les flammes de la fusée qui s’élève vers le ciel noir, elle semble avoir accepté l’absence de sa mère… elle semble vouloir se consacrer à la vie sur Terre, à l’images de ces chevaux qu’elle aime tant qui galopent au-delà du pas de tir. Alors pourquoi les adultes, eux, pleurent-ils ?

Et s’ils avaient conscience que, face aux feux des moteurs de la fusée, ils étaient témoins de quelque chose de bien plus important pour l’humanité qu’une simple prouesse technique ? Si ce décollage, point d’orgue de mois d’entraînement, de décennies de recherches, de milliards d’euros de dépenses et d’efforts pour les nations spatiales… si ce décollage annonçait un évènement à l’échelle de l’humanité ? 

A propos d’espace, il faut diviser la réalité en deux temps bien distincts : il y a bien évidemment la difficulté de vivre dans l’environnement le plus hostile auquel l’homme puisse être confronté : le vide spatial. Mais, avant tout, pour accéder à cet espace tant désiré, il faut s’arracher à la gravité de la planète bleue, il faut sortir de ce qui est couramment nommé un puits gravitationnel : sur Terre, on est au fond du puits. En orbite, on est en haut du puits, puits qui peut être plus ou moins profond en fonction de l’orbite considéré. Dans le cas d’ISS, le puits est profond de 415 km, altitude à laquelle orbite ISS. Or, pour emmener les trois humains qui compose son équipage vers leur nouvelle demeure, la fusée Soyouz va brûler 280 tonnes de carburant (un mélange de kérosène et d’oxygène liquide) en moins de 10 minutes. En fin de course, la capsule aura atteint une vitesse d’environ 28 000 km/h. (à titre de comparaison, un Rafale, l’avion de chasse français de dernière génération, peut emmener son pilote sur 3700 km avec 6,3 tonnes de kérosène (dans le cas des avions, on ne compte pas le poids de l’oxygène qui est prélevé directement dans l’atmosphère par les tuyères). Cela prendra un peu moins de 3 heures à une vitesse de croisière de 1 700 km/h quand un Airbus A350 consommera 48 tonnes de kérosène pour emmener 400 humains sur 6800 kilomètres, en un peu plus de 8 heures).

A l’avenir, peu importe les technologies accessibles pour mettre en orbite une charge, que l’on parle d’humains ou de fret, la résolution de l’équation “arracher un poids au sol d’une planète coûte une quantité d’énergie proportionnelle à la gravité de ce corps” restera la même : dans le cas de la Terre, cette résolution désignera toujours une très grande quantité d’énergie. Une fois arrivée dans l’espace, il n’est pas sûr que, pour des raisons financières, l’humanité s’engage dans des travaux de construction susceptibles d’assurer aux astronautes une gravité équivalente à celle perçue sur le sol de la Terre. Les stations spatiales géantes imaginées par la science fiction pourrait bien ne jamais exister ne serait-ce que pour réduire les contraintes mécaniques que subiraient les infrastructures de ces stations si elles devaient recréer le 1 G terrestre… Avec le temps, naîtrait alors une nouvelle branche de l’humanité. Une humanité adaptée à la vie en gravité faible, adaptée au rayonnement cosmique qui augmentera dès lors qu’une installation humaine quittera la protection de la magnétosphère terrestre, une humanité qui ne retournerait plus sur Terre tant pour des raisons économiques que physiologiques. Ce nouvel avenir de l’humanité concrétiserait la conviction de Constantin Tsiolkovski, scientifique et père de l’astronautique soviétique : “La Terre est le berceau de l’humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau”.

Pourtant, et en ne considérant que la seule difficulté technique de l’accession à l’espace — sortir du puits gravitationnel — ce voyage qui met également les corps humains à rude épreuve — les astronautes subissent une accélération de l’ordre de 4 G — pourrait bien créer une scission au sein même de l’humanité au fur et à mesure que le nombre d’humains dans l’espace augmentera avec la territorialisation de l’espace, dans un premier temps, en orbite de la Terre puis de plus en plus loin : Lune, Mars, ceinture d’astéroïdes et au-delà…

Sur Terre, les choses ne sont pas plus simple que dans l’espace avec les enjeux climatiques et leurs conséquences qu’elles soient environnementales, économiques ou autres qui se font de plus en plus pressantes pour les milliards d’humains terriens. Parmis eux, certains voient les efforts technologiques spatiaux comme les prémices de tout autre chose qu’une aventure humaine et technique : ils y voient les préparatifs d’une grande évasion, celle des riches et des nantis. “Des preuves ?” disent-ils : il suffit de voir fleurir les projets de stations spatiales en orbite de la Terre. Ce sont des projets d’hôtels orbitaux de grande taille. Ils sont annoncés dès les années 2040 mais plus vraissemblablement au-delà du milieu du XXIe siècle, moment auquel devrait se produire, étrange coïncidence, l’effondrement dont parlent avec tant de véhémence les collapsologues de tous poils. Ces hôtels orbitaux accueilleraient alors les terriens les plus fortunés, seuls capables de se payer un tel billet. 

Cependant, ces projets ne tiennent aucunement compte des étapes que la technologie humaine doit accomplir pour assurer la viabilité de ces stations spatiales, ne serait-ce, par exemple, que le bon fonctionnement d’un écosystème artificiel et clos… Peu importe, ils viennent renforcer cette étrange aversion à l’encontre des technologies et une suspicion croissante à l’égard de l’aventure spatiale. Mais, comment ne pas partager une part des doutes de celles et ceux qui se dressent contre toute exploitation de l’espace si elle ne se fait pas au profit de l’ensemble de l’humanité ? Ne doit-on pas effectivement concentrer les efforts de la recherche pour préserver, à la surface de la Terre, l’humanité et l’environnement sans lequel elle survivrait bien difficilement ? 

D’autant qu’il faut bien admettre que, au-delà de tout catastrophisme qui tient lieu d’une nouvelle forme de millénarisme, au-delà de tout conspirationisme qui ne voit dans les images de l’alunissage d’Appolo 11 qu’une mise en scène réalisée avec talent par Stanley Kubrick (prestation payée avec l’utilisation d’un objectif à très grande ouverture utilisée pour le tournage de Bary Lindon), il est évident que les missions “hors-Terre” ne concerneront que peu de personnes… le tourisme qui, à moyen terme, pourrait bien se développer ne concernera vraisemblablement qu’une minorité d’individus en comparaison de la multitude qui vit sur le sol de la planète Terre, tout comme c’est déjà la cas pour le tourisme de grand luxe… Cependant, l’industrialisation de l’espace puis sa territorialisation appelleront toujours plus d’hommes et de femmes dans l’espace pour accomplir les tâches du quotidien : soudeur, manœuvres, contremaître, infirmier, cuisinier ou administratif… de ces hommes et de ces femmes devenus spatiaux par choix naîtront les enfants qui seront les futurs citoyens de cette humanité devenue spatiale.

Si un jour elle advient, cette nouvelle humanité restera bien évidemment génétiquement féconde avec l’humanité terrienne et ce pour longtemps encore. Mais la distance crée par les réalités économiques et technologiques ajoutées à un mode de vie en gravité faible, à bord de stations spatiales conçues pour assurer une gravité optimum entre nécessité et confort, ces conditions renforceront les divergences entre terriens et spatiaux. Le raisonnement serait le même pour d’éventuels colons installé à la surface d’une autre planète comme Mars. A quelques centaines de millions de kilomètres de la Terre, les réalités économiques imposeraient le même couperais : ce qui est dans l’espace le reste. Si on arrache quelque chose au sol, il faut une sérieuse raison ou un compte en banque bien fourni. 

Avec un certain cynisme, ce sont les règles d’une économie spatiale en circuit court qui pourraient bien s’imposer : on consomme avant tout ce qui est produit à proximité gravitationnelle. Tout puits gravitationnel devenant une barrière quasiment infranchissable pour le commun des mortels.

Alors, dans le film Proxima, les adultes qui voient partir l’équipage vers ISS pleurent car ils pourraient bien avoir la conscience plus ou moins avouée qu’ils sont témoins de la préparation d’une aventure humaine qui, à terme, sera amenée à dépasser la dimension de l’individu ou celle de toutes entreprises humaines. Cette mission, celles qui l’ont précédé et celles qui lui succéderont seraient alors les prémices de la sortie de l’humanité de son berceau, la Terre… ces missions spatiales seraient la genèse d’une humanité au destin spatial. Ils pleurent car ils ont la prescience qu’ils sont les témoins involontaires de la naissance d’une nouvelle humanité, une humanité spatiale… Mais peut-on ou doit-on empêcher ce destin spatial ? Et, si il est dans la nature de l’homme de partir vers les étoiles, peut-on l’obliger à continuer à travailler au bénéfice de l’humanité terrestre ? A moins que, à l’image de Stella, l’humanité se tourne résolument vers la Terre. Alors, vous en dites quoi, vous ?

 


 

Toutes ces analyses sont également rassemblées sur www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui  éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon, l’objectif et l’œil des auteurs !

 


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