En réponse au mouvement francophone #Biblio+Humaine qui a pris une ampleur inattendue en réaction à la disparition de la médiation humaine dans les bibliothèques un groupe de bibliothécaires a décidé de s’émanciper des tutelles institutionnelles.
Depuis le début des années 2000 les bibliothèques étaient en crise. A la fois crise de croissance et crise d’identité.
D’un côté, soumises aux politiques culturelles locales, aux restrictions budgétaires, à l’obligation de faire venir du public dans leurs locaux et, d’un autre côté, d’être présentes sur le web, les réseaux sociaux et de développer leurs propres applications dans la déferlante du tout numérique. Si on ajoute à cela l’explosion de l’offre de divertissements à la demande et le renouvellement des générations au sein de leurs personnels, le challenge était herculéen. Dans ces conditions le concept de tiers-lieu n’a pas pesé lourd.
Mais le problème des bibliothèques est en fait bien plus ancien et bien plus complexe que le laisse penser le phénomène #Biblio+Humaine. Les questions qu’il pose aujourd’hui étaient en fait restées trop longtemps sans réponses.
Au premier rang de ces questions : pourquoi les médiathèques continuaient-elle à s’appeler couramment des bibliothèques ?
Les learning centers et autres lieux d’inclusion sociale et de sociabilité urbaine ont désacralisé le rapport au livre au moment même où son marché déclinait et où, en réaction, de plus en plus de lectrices et de lecteurs se tournaient vers des solutions alternatives aux librairies et aux bibliothèques. Boites à livres pour les ouvrages imprimés, recours au domaine public voire au piratage numérique pour les ebooks. En même temps l’automatisation des réservations, des prêts et de leurs retours, l’introduction de robots d’accueil et d’orientation, notamment pour les établissements ouverts 24H/24, la multiplication des points et de postes de connexion avec l’usage systématique de moteurs de recherche ou de plus en plus d’agents conversationnels, ont rendu de plus en plus rare et en apparence de moins en moins nécessaire pour les usagers le contact avec d’autres êtres humains. La médiation en vis-à-vis, court-circuitée par les BookTubes et Bookstagrams, par des applications de communautés en ligne, de plus en plus souvent couplées à des plateformes d’écriture, de fanfictions et d’autoédition, s’est complètement démembrée.
Les dés sont jetés. L’interprofession du livre, accrochée au circuit de l’imprimé, a été trop lente à réagir. En résumé : moins de livres et moins d’humains. Nous ne sommes pas encore dans le monde de Fahrenheit 451, la célèbre dystopie de 1953 de Ray Bradbury, mais la situation est devenue brûlante.
C’est donc dans ce contexte qu’un mystérieux groupe d’une cinquantaine de personnes, qui serait pour l’instant constitué d’une vingtaine de bibliothécaires auxquels se seraient adjoints dix experts en sciences de l’information et de la communication, cinq développeurs web/IA et une quinzaine de spécialistes, tous avec le préfixe cyber devant le nom de leurs spécialités, a décidé de passer à l’action en proposant de se constituer en ce qu’ils appellent : L’ESSAIM, en référence aux regroupements d’abeilles qui ont quitté leurs ruches et s’agglutinent entre elles.
Paradoxalement le groupe a choisi d’opérer dans les mondes digitaux. Mais leur devise : « Derrière les pixels un humain ! » affiche leur programme qui se développera sur deux plans et en deux temps.
Dans un premier temps une présence localisable dans le cyberespace sous la forme d’une bibliothèque virtuelle à laquelle tout internaute pourra se connecter à tout instant et quel que soit son terminal et notamment les nouveaux casques de réalité virtuelle. Dans cet espace derrière chaque avatar il y aura un humain connecté en temps réel, soit bibliothécaire, soit usager de la bibliothèque.
Dans un second temps une assistance personnelle permanente sera proposée aux membres inscrits. Chacun des vingt bibliothécaires aura sous ses ordres une escouade pouvant compter jusqu’à plusieurs milliers de… vouels. Il s’agira d’intelligences artificielles pédagogues, dont le nom découle de l’ancien français désignant la vibration sonore produite par la vocalisation d’une voyelle, et dont la mission sera d’assister les utilisateurs dans leurs recherches et leurs validations d’informations au quotidien. De petits anges gardiens, de petits cyber-bibliothécaires individuels adhérant à la personnalité de leurs hôtes pour les faire évoluer et se présentant sous la forme de puces électroniques sous-cutanées.
« Les usagers seront émancipés pour prendre leur destin en mains » précise le communiqué que nous avons reçu.
Le mouvement #Biblio+Humaine peut sembler bien loin. Mais le porte-parole du groupe, dont nous n’avons pu rencontrer l’avatar que brièvement entre deux de ses téléportations, nous assure que l’objectif est de permettre à tous de découvrir au fond de leur être et de leurs capacités cognitives et intuitives généralement inexplorées leur propre bibliothécaire intime. Nous n’avons pour l’instant aucune précision sur le modèle économique de cet… ESSAIM.
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