Nouvelle contribution
d’Olivier Parent à
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« Detroit: Becoming Human » est un jeu vidéo sorti en 2018. Il met en scène un monde à venir, l’an 2038, dans lequel l’humanité est accompagnée au quotidien par des machines intelligentes anthropomorphes, des robots d’aspect totalement humain. L’intrigue va confronter le joueur à des événements qui peuvent aboutir à la reconnaissance des machines en tant qu’êtres vivants artificiels. On trouve les prémices du jeu, en 2012, dans une vidéo de démonstration présentée par Quantic Dream, le développeur du jeu. On y découvre Kara, une gynoïde, un robot d’apparence féminine, qui à peine sortie de sa ligne d’assemblage s’éveille à la conscience… Cependant, la conscience ne faisant pas partie du protocole de fabrication de ces produits, elle risque d’être dé-assemblée.
Ce qui est raconté dans ce clip de 7 minutes se trouve augmenté dans le jeu : par ses choix, le joueur préside aux destins de Kara, un robot d’assistance ménagère, Markus, un androïde, un robot d’apparence masculine assistant de vie et Connor, un androïde d’assistance policière.
Comme, par exemple, dans la série Real Humans : 100 % humain, diffusée sur Arte de 2012 à 2014 où l’on assistait à une avalanche d’éveils à la conscience artificielle chez les robots, l’éveil des machines de Detroit: Becoming Human a quelque chose de trop facile… comme si les machines étaient toutes dotées des mêmes capacités matérielles et logicielles, sous-jacentes et non exploitées. La conscience artificielle émergée en bénéficie totalement. Dans le jeu, il suffit du contact d’une machine « éveillée » avec une autre machine pour amener cette dernière à la conscience, pour la « libérer » de l’esclavage que les humain lui impose, tel que cela est dit dans le jeu.
La morphologie robotique : une multitude d’options
La question de la conscience artificielle a de nombreuses fois été abordée dans ces chroniques. On peut se référer aux analyses des films Her, Mars Express, Ex Machina ou The Creator. On y reviendra pas. Ce qui interpelle dans le jeu Detroit: Become Human est la place et les fonctions qui sont attribuées à ces machines d’apparence si humaines. C’est aussi l’apparente nécessité de concevoir et commercialiser des machines d’apparence si parfaitement humaine qu’il est difficile de les identifier comme robots.
Que les robots soient androïdes ou gynoïdes, aspirateur dans notre salon ou robot soudeur sur une usine automobile, la machine est l’interface physique qui permet à un algorithme, IA ou non, d’agir dans le monde physique, d’interagir avec les humains. Et, dans une proximité avec les humains telle qu’elle est décrite dans le jeu, pour les machines, prendre la forme anthropomorphique, leur permet de mieux remplir leurs fonctions dans un monde dimensionné pour nous, les humains.
Pourtant, l’apparence anthropomorphe des robots n’est pas en soi une règle absolue, pas plus d’ailleurs que leur présence massive dans nos sociétés à venir. Même si cela semble mal engagé tant nous sommes tous friands d’innovation, on pourrait néanmoins envisager une civilisation qui fait le choix de ne pas déléguer ses corvées aux machines. Cette éventualité a été envisagée dans de nombreuses œuvres de science-fiction. Ce sont le cycle d’Elijah Baley d’Isaac Asimov ou celui de Dune de Frank Herbert, le roman Apprendre, si par bonheur de Becky Chambers ou le film Seul sur Mars de Steven Spielberg. Et même si nous acceptons les machines dans nos maisons — ce qui semble bien parti —, dans nos usines — elles y sont déjà —, dans nos villes — à quand les premières manifestations anti-robots ? — elles pourraient prendre bien des formes autres qu’anthropomorphiques.
Déjà, elles pourraient être invisibles, incorporées aux fonctions des bâtiments. C’est ce qu’aujourd’hui on appelle la domotique. Ce domaine est donc appelé à se développer. Les machines pourraient être à peine plus visibles et d’apparence mécanique, à l’image de cette paire de bras accrochés aux murs de la cuisine, qui reprennent leur place dans une discrète réserve après avoir cuisiné.
Les machines pourraient surtout développer leur propre morphologie : qui a dit que l’apparence anthropomorphique était la meilleure option ? Le robot présent dans le film Red Planet en est la démonstration : contrairement aux humains et à une grande part des animaux, elle n’est pas construite selon le principe de symétrie bilatérale : entendez par là qu’elle n’a pas plus de face que de dos. En permanence, elle réorganise sa structure afin de répondre au mieux aux tâches qu’elle doit accomplir : par exemple, au lieu de se retourner pour se saisir d’un objet situé « dans son dos », elle ne fait que renverser ses articulations. Cette configuration représente un gain de temps, d’énergie et donc d’efficacité !
L’anthropomorphisme robotique : une fatalité ?
Cependant, à l’encontre de tout ce qui vient d’être énoncé, les constructeurs de machines robotiques préparent les opinions publiques à l’arrivée de machines humanoïdes. On peut citer Optimus de Tesla, le G1 d’Unitree ou le S1 d’Astribot. Tous sont d’apparence encore grossièrement humaine, mais tous sont appelés à se retrouver sous peu dans toutes les bonnes maisons qui se respectent ! C’est en tout cas ce que les zélateurs des robots nous annoncent !
Si, aujourd’hui, on reste loin, très loin encore de machines qu’on arriverait plus à distinguer des humains, cela nous laisse le temps de réfléchir à cette éventualité… Bien qu’il y ait de grandes chances qu’elle arrive bien plus vite qu’on ne le pense. Pour s’en convaincre, il faut se tourner vers une industrie émergente : robots sexuels, les sextoys robotiques. Là, on s’étonnera de l’attention qui est portée à la finesse de leur apparence, sachant qu’on parle principalement de gynoïdes aux apparences des plus avenantes et aux mensurations des plus avantageuses…
Le cul sera-t-il l’avenir de la robotique ?
Dans notre jeu, la dimension sexuelle des robots n’est pas abordée de manière directe. Au gré de ses pérégrinations, le joueur pourra par exemple passer par un « bordel » robotique : avec son partenaire humain, l’androïde Connor doit s’y rendre car un crime a été commis. Pour arriver à la scène de crime, ils passent par un hall où les machines exhibent leurs atouts. Cependant, il est à noter que la dimension sexuelle a bien été présente dès les origines du projet. Il faut regarder le clip Kara, cité plus haut : au fur et à mesure de son assemblage et de son éveil accidentel à la conscience, la gynoïde en vient à couvrir de ses mains sa poitrine et son sexe. Ce geste pudique pourrait être une simple prudence des créateurs qui ne voulaient pas voir leur clip être victime de la censure des réseaux sociaux. En termes de spéculation prospective, la sexualisation de l’objet robotique humanoïde pourrait se révéler être un moyen de diffusion de la culture robotique dans les sociétés à venir.
Petit retour en arrière, dans les années 90, avant l’arrivée de l’Internet, la France avait le Minitel. Or, à l’époque, même si on a tendance à l’oublier, un des moteurs de la diffusion culture et du développement de la télématique avait été le « Minitel rose » et ses sites «coquins ». Aujourd’hui, l’informatique et Internet font partie de notre quotidien et la pornographie représente jusqu’à un tiers du trafic mondial… En sera-t-il de même avec les robots : demain, la culture robotique passera-t-elle par le sexe ?
Si la raison sexuelle peut être nécessaire, elle n’est pas suffisante. Alors, pourquoi sommes-nous fascinés par des machines d’apparence similaire à nous-mêmes ? Ne chercherions-nous pas là un alter ego — excessivement — bienveillant, un compagnon docile, sans esprit de contradiction ? Un esclave, comme se qualifient eux-mêmes les robots conscients dans Detroit: Become Human ? On peut se rappeler que le mot robot à été créé, en 1921, par Karel Capek à partir de rob, vieux mot slave qui veut dire esclave…
Je travaille donc je suis… robot ? Humain ?
Dans le monde du jeu Detroit: Become Human, les robots humanoïdes sont partout. Dans l’armée ou dans la police, ils représentent jusqu’aux deux tiers des forces. En ville comme dans les maisons, les robots remplissent toutes les fonctions qu’on peut attendre d’eux : accompagnement des personnes dépendantes, comme les enfants, ou fragilisées, par la maladie ou par l’âge, pratique des métiers non valorisés, tels que les éboueurs ou travaux de force… On les voit aussi des postes où on ne les aurait pas attendus, au contrôle de la diffusion d’un média. Pour contextualiser cette présence, au gré du jeu, on peut passer par une place sur laquelle trône une statue qui représente un humain et un robot stylisés se faisant face. Sur le piédestal on peut lire « En commémoration de l’invention des robots humanoïdes qui ont libéré l’humanité des liens au travail, lui permettant ainsi de poursuivre des objectifs élevés et d’atteindre les sommets de la connaissance, de l’amour et des loisirs ».
Vous avez dit « être libéré du travail » ? Dans les faits, cette belle phrase prend la forme d’un « grand remplacement » des humains par les machines. Dans la société du jeu, le chômage semble endémique. Des machines sont prises à partie par des manifestants ayant perdu leur travail.
Petit rappel : aujourd’hui, l’État prélève des taxes sur toutes les rémunérations salariées. Ces taxes participent au fonctionnement de l’État, elles préparent les retraites des salariés, elles participent à la Sécurité sociale, elles sont la cheville ouvrière du système social français : « solidaires par répartition ». Autrement dit, chacun paye pour tout le monde, à proportion de ses revenus. Dans le système actuel, c’est bien le travail qui est taxé.
Avec la montée en puissance des machines, leur morphologie humanoïde leur permettant de se glisser à tous les postes tenus par les humains, on pourrait donc voir monter le taux de chômage dans des domaines cibles des compétences robotiques en constante augmentation. Or, le travail robotique est loin d’être taxé à hauteur similaire du travail réalisé par les humains. Donc demain, sans changement d’outil de production, un investisseur aura tout intérêt à remplacer les travailleurs humains par les robots anthropomorphes.
Des taxes sur le travail (les charges sociales dont les modalités n’ont eu de cesse d’être négociées et renégociées au cours de siècles de luttes sociales), on passerait aux taxes sur le travailleur ! Une distorsion flagrante sur le marché du travail.
Ce dernier constat encore spéculatif sera-t-il une bonne raison de généraliser le Revenu universel ? (Mais qui alors aura les moyens de s’acheter le nécessaire et surtout le superflu à la base de la société de consommation qui semble perdurer dans Detroit: Becoming Human ?). À moins qu’une nouvelle nécessité finisse par s’imposer, celle de taxer le travail, peu importe l’opérateur de ce travail, humain, robot ou de tout autre nature… De quoi préserver notre système social pour encore un temps… De quoi alimenter quelques négociations sociales dans les décennies qui viennent. Je l’ai toujours dit : vivre demain va être une aventure extraordinaire !
Nota bene : N’étant pas joueur, je dois ici remercier le youtuber Squeezie qui, début 2024, a mis en ligne 10 heures de gameplay Detroit: Becoming Human. C’est à partir de ces vidéos que j’ai écrit cette chronique.
A retrouver sur inCyber News : « Detroit: Becoming Human » ou la tentation anthropomorphique des machines
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