Parut dans le numéro 5 de la Revue d’INfluencia.net :
LES MÉDIAS ONT LONGTEMPS DÉSIGNÉ LES MOYENS PERMETTANT LA DIFFUSION D’UNE INFORMATION.
ILS SONT DÉSORMAIS DES PROLONGEMENTS TECHNOLOGIQUES DE NOS SENS. AUJOURD’HUI, IL FAUT COMPRENDRE CETTE AFFIRMATION AUSSI BIEN AU PROPRE QU’AU FIGURÉ.
Avec plus de soixante ans de retard, la récente sortie du dernier film Marilyn Monroe est dans la droite ligne de la nouvelle compréhension des médias. Le tournage de « Something’s got to give », réalisé par George Cukor, avait été interrompu en 1962 par le suicide de la star. Et pourtant, nous avons enfin tous pu la voir sous toutes les coutures et découvrir l’ensemble de l’intrigue de cette comédie hollywoodienne typique de la moitié du vingtième siècle.
Cette performance posthume a été rendue possible grâce aux dernières générations d’Intelligences Artificielles Limitées, appelées LAI (Limited Artificial Intelligence, prononcez « laï ». Notez l’homonymie avec « lie », « mensonge » en anglais…). À l’origine, ces acteurs virtuels sont conçus pour interagir avec des acteurs humains. Pour finir « Something’s got to give », des LAI particulières ont été programmées autour des personnalités des principaux acteurs : Marilyn Monroe, Dean Martin et Cyd Charisse. Chacune de ces intelligences artificielles spécialisées a été «nourrie» de l’ensemble des images et de toutes les informations que l’on possède sur ces stars. Les Intelligence Artificielles s’en sont servies pour apprendre à agir à la manière de leurs défunts originaux. Sur un plan plus cinématographique, la réalisation contemporaine du film s’est appuyée sur les notes laissées par George Cukor. Du tournage original restait une trentaine de minutes utilisables. Elles ont été « retournées » afin que l’ensemble du film soit accessible au Virturama : « Grâce à mes lunettes de projection ou grâce à mes divers implants, lorsque je bouge la tête, je vois l’action qui se déroule au-delà du champ initialement proposé ». C’est ainsi que l’on peut désormais nager avec Marilyn dans sa piscine du début des années soixante, et l’admirer dans son plus simple appareil…
Les technologies multi-focus ou « multi-points de vue », si elles apportent une nouvelle dimension au 7ème Art, Elles ont d’abord été développées pour les jeux. Elles sont une telle révolution qu’on a du mal, aujourd’hui, à envisager la projection d’un film ou à jouer avec une console sur écran plat et sans interactivité spatiale.
Ce petit rappel permet de faire apparaître un comportement tout à fait contemporain : l’homme moderne ne semble avoir accès aux médias que bardé de tout un attirail d’appareillages, extensions physiques ou cognitives de ses propres sens. Vous êtes, nous sommes, la troisième génération pour laquelle les technologies de l’information et de la communication sont de l’ordre de l’inné. On disait de la première généra- tion qu’elle était née une souris à la main… C’est bien plus qu’une télécommande avec laquelle nous vivons quotidiennement.
?Cette évolution concerne tous les médias. Dans le cas d’Internet, cette gigantesque base de données n’a été, dès l’origine, qu’un champ de bruit où il était impossible de trouver quelque chose sans savoir ce que l’on cherche…
En plus de l’apprentissage nécessaire, il fallait les bons outils de collecte. Le français, au début du siècle, avait trouvé une belle alternative à l’anglicisme « to browse » avec le mot « butiner »… Mais le champ n’a cessé de croître. Il est vite devenu infini, au-delà nos capacités de butineuses humaines… Nos navigateurs Internet ont appris à se brancher à des moteurs de recherche…
Aujourd’hui, nous utilisons tous, peut-être sans même le savoir, des ARI, des Agents de Réseaux Intelligents. Qu’ils soient affiliés à un gros moteur de recherche ou indépendants, utilisant des fonctions de méta-moteur, nos ARI sont devenus nos clones sur le web, comme le sont les LAI pour les acteurs au cinéma. Mais là, pas de contraintes, bien au contraire. Chaque requête, chaque lecture, chaque pause de notre regard sur une partie ou une autre d’une image renseigne le ARI. Plus nous l’utilisons, mieux il nous connaît. Si le champ de connaissance d’un LAI peut être restreint à un acteur, notre ARI grandit avec nous… En matière d’information, il nous propose les nouvelles qui nous satisferont au mieux! La manière de présenter une revue de presse tient compte de cette recherche de satisfaction…
Vous êtes-vous déjà demandé si ce que vous regardiez dans un film, ou si ce que vous cherchiez sur Internet était vraiment une information objective ou bien une simple auto-phagocytation de vos propres choix, de vos propres goûts ?
Si la modernité nous promet une satiété permanente, n’est-ce pas un acquis qui se serait fait au détriment d’une des richesses originelles de l’Internet : la créativité et la joie de la sérendipité ?
Il semblerait que plus le temps passe, moins l’individu se confronte à une forme de risque : je regarde ce qui me plaît, je trouve ce qui m’intéresse, l’information, au sens large du terme, qui m’est présentée est celle que j’attends… Caricatural ? C’est à voir…
Aujourd’hui, tout est digital. A l’évidence, cette dématérialisation a permis l’augmentation de la qualité des moyens de transmission de cette information. de l’information. Le média devient total grâce au numérique. Et, au cours de ces décennies passées, l’individu a reçu cette même information dans des environnements de plus en plus intimes : la salle de cinéma communautaire de nos grands-parents, par exemple, a subi une forte concurrence des « home cinéma», puis vinrent les lunettes de projection vidéo…
Pour finir, nous nous faisons implanter, aujourd’hui, des projecteurs cochléaires qui affichent l’image directement sur notre rétine et l’image de n’importe quelle source peut être superposée ou remplacer ce qui se présente à notre regard. Demain, on nous annonce un « branchement » direct sur le nerf optique… Or, ce qui vient d’être décrit est la diminution, et bientôt l’annulation de la distance, tant physique que psychologique, entre le média et le sujet. À ces technologies, on peut ajouter les émulations sensorielles et autres combinaisons immersives qui participent à la réduction de ces distances…
Cette réduction drastique de la distance qui sépare le média du spectateur pose la question de la mesure d’une autre distance : celle qui sépare la réalité de la fiction. En d’autres termes, chaque individu ne doit-il pas s’interroger sur le sens de la réalité quand les médias se superposent à cette réalité et annulent toute distance critique entre lui-même et l’information reçue ? À chacun de tenter d’y répondre
© Olivier Parent – prospective.lecomptoir2.pro
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