Quelque soit l’issue du Brexit, l’errance politique britannique pourrait bien devenir une chance pour l’Europe et cela à plus d’un titre. Tout d’abord d’un point de vue interne, intra-européen. Depuis bientôt deux ans, le Royaume-Uni négocie avec l’Europe les modalités de sa sortie de l’Union. Depuis deux ans, les équipes de Michel Barnier et les négociateurs britanniques tentent de tisser les futurs liens qui uniront le vieux continent et ces éternels insulaires. Or, depuis deux ans, les vingt-sept membres de l’Union Européenne font corps face à l’adversité que leur impose le choix démocratique du peuple britannique : quitter l’Europe.
A l’occasion de ces négociations de longue haleine, il n’aurait pas été des plus étonnant de voir tel ou tel pays parmi les plus eurosceptiques tenter d’engager des négociations bilatérales pour se garantir des relations privilégiées avec le futur sortant, au risque de se mettre à la frange du droit communautaire… mais il n’en a rien été alors que les preuves de cet esprit indépendant, voire frondeur, au sein des 27 membres de l’Union européenne ne manquent pas. Il suffit d’observer les choix commerciaux en matière d’aviation militaire qui permettent à des appareils transatlantiques d’être acquis au détriment des industriels européens ou d’autres négociations commerciales qui, elles, envisagent des relations bilatérales entre les rives latines de la Méditerranée et un Empire du milieu à l’appétit toujours plus grand… La préférence économique européenne est loin d’être une réalité !
Mais, non… étonnamment, au cœur de la tempête du Brexit, les 27 font front uni, contre toute attente, même cynique…
Serait-ce finalement que l’Europe porte des fruits bénéfiques malgré une soit-disante ivraie foisonnante et étouffante ? En tout cas, l’union semble faire la force surtout quand on voit comment les USA, par la voix de son président, se préparent aux futures relations commerciales avec le Royaume-uni rendu à sa propre destinée. En substance, il est annoncé que les USA ont une offre commerciale unique à proposer à leur futur partenaire mais il faudra accepter leurs produits à leurs conditions, il faut ici comprendre « loin du protectionnisme européen » qui empêchait l’arrivée sur son marché des denrées les plus « exotiques » : viande de poulet désinfectée à la javel ou bœufs élevés aux hormones… Les moins enthousiastes des membres de la Communauté européenne ne s’y trompent pas : l’Europe est un rempart efficace face à des pratiques commerciales qui desservent aussi bien les industriels que les consommateurs européens.
La liste des bénéfices inattendus de l’éventualité d’un Brexit, peu importe ses modalités, peut être allongée en rappelant que, tout au long de cette période de négociation de ce lourd accord de divorce à l’amiable, on a jamais autant parlé de défense européenne : l’idée d’un porte-avions franco-allemand fait son chemin dans les états-majors et au sein des instances de gouvernance comme celle d’un futur avion de combat conçu par un noyau dur d’industriels européens.
Au-delà d’une énumération fastidieuse et risquée des possibles conséquences positives du vote britannique en faveur d’une sortie de l’Europe, on peut aussi envisager cette épreuve d’un point de vue externe. En définitive, si cette période de doute n’était en fait qu’un stress test, à échelle 1:1, une mise à l’épreuve en temps réel de l’Europe vers laquelle tous les yeux du monde se tournent ?
Depuis sa création, l’Europe ne cesse d’étonner les autres pays de la planète, même si les trajectoires initiales du projet européen ont suivi les chemins un peu trop évidents de l’économie. Il s’agissait pourtant d’unir des nations qui avaient passé le plus clair de leur temps à s’affronter tout au long des vingt derniers siècles ! Le choc et l’horreur des deux guerres mondiales, derniers avatars monstrueux de cet état de fait, seraient-ils assez puissants pour convaincre un continent composé d’une mosaïque disparate de cultures et d’identités nationales de s’unir pour le meilleur et pour le pire ? Un de ces pires, pas vraiment anticipé, étant bien évidemment le Brexit, cette demande émanant d’une des nations qui, lors de son intégration à la communauté européenne, avait le plus âprement négocié ses conditions d’adhésion….
Ainsi, le monde a les yeux tournés vers l’Europe, au moins au rythme des votes pour le moins déroutants du parlement britannique. Le monde attendant de voir comment s’en sortiront ces fous d’européens qui se sont associés de liens tellement étroits que la maille semble en être inextricable. Et ce qui semblait folie pourrait bien devenir chance et même espoir pour d’autres parties du monde qui ont envisagé des projets similaires à celui de l’Europe. On peut penser à l’Asie du sud-est… et cela pourrait donner des idées à d’autres régions du monde pour faire front face aux géants qui semblent bien décidés à se partager le marché planétaire, à échéance plus ou moins brève : USA, Chine, Inde…
Dans ce stress test, une autre « institution » européenne pourrait également sortir à son avantage de cette période de négociations intenses : il s’agit de l’Euro.
Décriée à l’étranger par manque de crédibilité ou de garanties, diffamée à l’intérieur de l’Europe, la monnaie européenne serait, aux yeux des opportunistes et des populistes, l’éternelle coupable de toutes les avanies que doivent affronter les pays européens, que ces épreuves soient réelles ou imaginaires ! Il n’empêche que fort de cette Europe qui semble être en passe de faire la preuve de son unité et de sa stabilité malgré les tentations et les embûches, l’Euro pourrait devenir la monnaie alternative à une dualité annoncée, celle du dollar américain opposé au yuan chinois. Et si cette émergence se confirmait, l’Euro prendrait de court la roupie indienne qui n’a pas encore acquise de stature internationale.
En 2008, lors de la crise des subprimes, il était apparu évident que les banques internationales n’étaient pas prêtes à résister aux chocs de cette épreuve et des milliards de dollar se sont volatilisés… Depuis cette crise, ces mêmes banques ont été soumises à des stress test simulés afin de s’assurer qu’elles avaient mis en place les procédures d’amortissement, en cas de nouvelle situation de crise. L’Europe, depuis 2016, subit elle aussi son baptême du feu de la gestion de crise et semble être en passe de prouver ses capacités de résilience, en restant unie et debout malgré les difficultés issues du choix des britanniques de sortir de l’Union européenne.
On peut se réjouir de tous ces constats à quelques semaines des prochaines échéances électorales européennes bien qu’il ne faille pas sous-estimer les épreuves par lesquels il va falloir encore passer… ne serait-ce que si il y a report du Brexit au-dela du 29 mars, situation qui au moment de l’écriture de cette tribune semble se profiler, il se pourrait bien qu’il y aie des élus britanniques dans le prochain parlement européen malgré une procédure de sortie de l’Europe du Royaume-Uni toujours active… situation pour le moins ubuesque ! On peut aussi prendre le temps d’une analyse de l’histoire contemporaine et européenne qui se déroule sous nos yeux, et prendre le temps de se féliciter de voir se construire notre identité européenne, une identité de cohésion et de solidarité face aux épreuves… on peut aussi espérer que les grands destins naissent encore des situations exceptionnelles…
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