Une production Le Comptoir Prospectiviste.fr/Futurhebdo.fr
Riel Miller dit de lui-même : “Je m’occupe principalement de fabriquer des processus pour réfléchir, pour imaginer l’avenir dans une vaste gamme de domaines, allant de la recherche scientifique au changement technologique, de la transformation de la société et aux aspirations basées sur la communauté … je suis quelqu’un qui travaille principalement dans le pourquoi et comment imaginer le futur . Je pense qu’on est à un moment de l‘histoire humaine où notre rapport aux connaissances et au savoir est en train de changer. Ça veut dire qu’on est en train d’assister à une refondation de notre rapport avec la réalité. Cela passe par nos réflexions et notre rapport à la connaissance. Dans cette relation à la réalité, l’humain, en tant qu’espèce, dispose de cet étonnant filtre que sont ses idées. Elles structurent notre façon d’être et notre capacité d’emmener nos outils, développés depuis toujours en symbiose avec notre nature, vers une autre plaine d’opportunités. Dans cette démarche d’exploration du monde, de notre rapport à la réalité, la démarche scientifique est principalement une démarche d’interrogation : c’est notre manière de sonder le monde autour de nous. Dans ce sens, que ce soit un bébé qui interroge son environnement ou un professeur, cette démarche demeure universelle. Et, quand on est capable d’accepter que les expériences nous emmènent aussi vers des échecs… que nos hypothèses sont souvent fausses… qu’on ne cesse de redécouvrir la réalité qui nous entoure… le mystère et l’émerveillement sont quotidiens !”
Pour le prospectiviste de l’UNESCO, la vraie difficulté est que, trop souvent, la science est considérée comme étant dans un état figé, comme quelque chose qui nous apporte principalement des certitudes. Alors que le rapport au monde qui est un univers relationnel, ne peut être réduit à la relation subjectif/objectif. Ce rapport au monde est, en fait, co-fabriqué par les composants-mêmes de l’univers. Cette composition est essentielle parce que “décrire les cellules qui me composent ne racontent pas qui je suis”. Ainsi, cette relation devenue consciente, cette relation entre objets et idées, qui, elles, ne sont pas tangibles, nous donnent la capacité de vraiment décrire l’univers.
Malheureusement, autour de nous, il y a nombre de structures qui tuent la curiosité et qui tendent à rendre les gens passifs, leur imposant une sorte de résignation : “Bon, l’expert va s’en occuper… le chef d’État, le leader, etc…” Et pourtant, un élément pourrait bien bouleverser cet état de fait : c’est la question permanente et fondamentale pour tout humain (bien montrée dans un film comme Matrix) : “Qui suis-je ? Comment fabriquer l’idée de moi même ?”
Aujourd’hui, le doute semble s’imposer. Certaines personnes vivent de telles douleurs et des situations de si grandes faiblesses que, d’une certaine manière, elles ne sont plus capables de surmonter cette crainte existentielle… que ces personnes acceptent des réponses qui les amènent à se suicider avec une bombe. Ce triste constat ne veut pas dire que la force de curiosité de l’humain est éteinte. Mais cette capacité humaine est si puissante, si mal maîtrisée, si mal comprise que l’humain en arrive à se nuire. Si bien que la question qui doit être posée est : “Va-t-on savoir libérer ce besoin essentiel de s’exprimer ? Va-t-on savoir mettre en commun notre intelligence aussi bien que notre humilité ?”
Posant ce genre de questions, on met en évidence des obstacles majeurs. Ce n’est pas, par exemple et de manière simpliste, que l’école étouffe l’idée qu’on devrait avoir de la connaissance (parce qu’on est formé à attendre que le professeur nous indique la réponse)… mais, c’est que les individus se sont construits une idée de sécurité, de bien être, liée à la certitude. Hélas, c’est une erreur grave, c’est même une erreur qui pourrait se révéler fatale pour notre civilisation tout comme pour les humains en tant qu’espèce.
Il faut juste que l’humain soit capable de revenir vers une forme d’humilité, face au monde émergent, non pas par résignation, qui serait l’aveu d’une incapacité à agir. Cette humilité permettra alors à l’individu d’être à nouveau capable d’apprécier ce qui se passe sous ses yeux. Ainsi Riel Miller s’interroge : “Comment apprécier, utiliser, se rendre compte de la richesse de chaque moment, pas seulement dans l’optique des sociétés industrialisées, cette optique de grandes échelles et de masse… mais bien, comment apprécier l’éphémère, la spontanéité, la spécificité… toutes ces notions étant fondamentalement liées à l’expérience, aux processus, et finalement et d’une manière importante, à la science de la vie. Car, on vit notre vie en spécificité, pas en généralité, pas dans l’abstrait !”
Riel Miller rappelle que le monde technique et scientifique, notre quotidien, est l’héritier d’une époque d’ingénierie et d’industrialisation élitistes. A un point tel qu’il lui paraît presque injuste de demander à une institution qui a soutenu une telle approche, une organisation qui a vécu dans une telle perspective, avec un certain pouvoir… de soudainement se transformer en quelque chose qui ne correspond en rien à sa structure, à ses origines. Ainsi, il résume la situation à une question stratégique : “les institutions sont-elles capables de céder tout ou partie de leur pouvoir, de façon à rendre moins violente la transition vers d’autres manières de gérer et d’organiser nos sociétés, afin qu’elles soient aussi moins sensibles aux ruptures ?” C’est un peu la question traitée dans la saga Fondation, d’Isaac Asimov. Ces romans interrogent la capacité d’un petit groupe à atténuer les chocs annoncés de l’histoire. Cela semble peu probable… pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas essayer. Reste à traiter la question du “comment ?”. C’est ici qu’interviennent la Littératie du Futur. C’est aussi une nouvelle conception de l’action humaine, rendue possible par une meilleure compréhension des tenants et des aboutissants de l’anticipation. Elle modifie nos relations, nos perceptions et nos choix. Puisque l’avenir est toujours imaginaire, le défi de comprendre les systèmes et les processus d’anticipation utilisés par l’homme consiste à comprendre pourquoi et comment nous utilisons notre imagination.
La question plus générale de l’approfondissement des connaissances, la question de la superficialité est aussi celle de l’imagination. Car, vulgariser c’est dédramatiser l’objet observé de manière à mettre en évidence tout le travail et toute l’accumulation des connaissances qui existent derrière l’objet observé. C’est le cas, par exemple, pour la génétique ou l’informatique, domaines dans lesquels beaucoup de choses peuvent paraître cachées pour le néophyte. Si bien que la question de la vulgarisation révèle surtout des enjeux d’ouverture et de transparence des sciences et de ses acteurs. Ainsi, pour Riel Miller, la question pourrait devenir : “Est-ce que les codes techniques vont être mis en “open source”, vont-ils être accessibles à tous ? Ou bien, va-t-on verrouiller la connaissance dans un coffre fort, pour qu’elle demeure un pouvoir, parce qu’elle reste opaque pour le plus grand nombre ?”
Il y a maintenant vingt ans, quand l’OCDE a organisé la première conférence autour de l’Internet, Riel Miller a proposé la création d’un système plus ouvert, d’un système de recherche où le partage des connaissances humaines ne serait pas seulement privé. Hélas, constate le prospectiviste de l’UNESCO, aujourd’hui, Google est le dépositaire des connaissances humaines. C’est aussi terrible que merveilleux quand on accepte le fait qu’Internet demeure en dessous du potentiel qu’il pourrait offrir à l’humanité. Heureusement, il y a des initiatives étonnantes : c’est, par exemple, Wikipédia. Mais c’est aussi la blockchain, cette idée d’une comptabilité ouverte à la certification partagée. Parce qu’une telle comptabilité des événements répond à une entente… une entente de sens et une entente d’intentions. Et, là, on établit des liens qui peuvent créer du sens. Pas une hiérarchie, mais un véritable nuage de changements permanents, des relations et de rapports.
Le prospectiviste invoque aussi l’imagination, un des éléments clés de notre rapport au monde. L’humain est en permanence en train d’imaginer : avant même que quelqu’un appuie sur un bouton, cette personne sait qu’il va sûrement se passer quelque chose. Avant même que le geste ait été accompli, on sait qu’un événement va advenir. On imagine et on agit. C’est en ce sens que l’imagination joue un rôle énorme dans notre expérience du monde.
Toujours en matière d’imagination, Riel Miller observe aussi une diminution de l’importance relative des productions et consommations de masse dans la création de valeur et de sens telle qu’elle est pratiquée couramment. Cela s’exprime, par exemple, dans une plus grande connaissance en matière de… cuisine ou dans la diversification des façons dont les gens s’habillent. Les efforts de personnalisation, d’éducation, de soins de santé, d’espaces de vie font à la fois partie d’une dématérialisation et d’une révolte contre l’aliénation de l’homme unidimensionnel, au sens de Marcuse. Les produits de masse, ces objets culturels, sont conçus pour être compréhensibles par le plus grand nombre, mais ils ne répondent pas aux envies ou aux besoins légitimes qu’à chacun de construire sa propre façon de penser, ou de créer son identité. L’exemple type de cette production de masse est bien évidemment Hollywood. Et pourtant, rappelle Riel Miller, même si cette productivité demeure dominante, cette même domination n’en est pas moins difficile à atteindre, parce que, malgré les stratèges du marketing, les goûts changent et qu’un produit doit demeurer accessible au plus grand nombre, à l’échelle d’un marché global, planétaire. Concevoir cette couche culturelle reste un défi formidable. Mais cette même couche, cette production reste, semble-t-il, superficielle. Elle n’est pas vraiment en lien avec notre véritable expérience quotidienne, une expérience spécifique, au sein de notre communauté. Tant et si bien que les produits de cette couche culturelle finissent par devenir jetables, sans grande importance.
Tout cela exerce une pression sur les activités de création. Cela alourdit la tâche de l’imagination. Pour Riel Miller, nous devons inventer, créer, trouver du sens qui soit satisfaisant et motivant aussi bien pour le créateur que la collectivité. L’imagination produit des scénarios. Ça veut dire inventer une histoire qui raconte quelque chose qui pourrait se produire. C’est un peu comme proposer, envisager, avant Jules Ferry pour la France, de donner à tous accès à l’école universelle… Au milieu du XIXe siècle, il était difficile de croire que cela puisse être un jour une réalité, doute qui persiste dans beaucoup de pays du monde, aujourd’hui, où nombre d’enfants sont encore obligés de travailler, où les parents ne savent pas lire ni écrire… Comment faire admettre à ces femmes et ces hommes, pour qui le quotidien demeure une lutte, qu’un professeur peut enseigner dans des villages où “on n’a vraiment pas confiance en ces personnes bizarres qui viennent de la ville” ? Dans ces dernières conditions, on pourrait conclure que, finalement, l’école universelle n’est pas faisable… À moins qu’on se prenne à l’imaginer cette école universelle ! Au fur et à mesure, des écoles sont bâties, des enseignants sont formés et des expériences viennent témoigner de cette idée qui semblait, à l’origine, inatteignable. D’autant que aucun des promoteurs de l’école universelle, à son origine, n’a eu la prescience d’un résultat tel que nous le vivons aujourd’hui ! Et ce que nous pouvons observer aujourd’hui comme réalité est le résultat d’accidents, d’expériences, de rêves et de cauchemars d’une multitudes d’acteurs, et non le résultat d’un plan merveilleux qui aurait tenu du génie.
Une chose est sûre : l’imagination humaine est fertile. Elle peut générer de nombreux scénarios, voire des résultats «étranges» tels que l’humain appelé à être amélioré par des puces électroniques… ou bien comment l’humanité pourrait être amenée à vivre sur d’autres planètes… comment une guerre des classes, entre robots et humains, pourrait émerger… tout cela, le cinéma d’aujourd’hui l’offre déjà ! Mais Riel Miller nous met en garde : En imaginant le futur, l’humain pourrait être tenté finalement de planifier l’avenir.
Il existe une discipline appelée Prospective qui consiste à explorer plusieurs scénarios d’avenir. Malheureusement, trop souvent, on donne au mot prospective le sens de prédiction, de prévision ou de modélisation… pour beaucoup, tout cela se résume en une manière de penser qui est liée à la planification. Cette approche revient à coloniser l’avenir ! En tant que père ou mère, on peut avoir une idée de la manière dont nos enfants devraient agir. L’adulte peut être tenté d’imposer sa volonté à ses enfants pour qu’ils vivent selon ses valeurs, selon sa perception de la réalité. Mais, il apparaît que cette approche ne marche pas… “Qu’est ce que cela veut dire ?” s’interroge Riel Miller. Pour lui, cette planification et cette préparation de l’avenir sur les bases de connaissances que le présent cherche à imposer, dans une attitude de clairvoyance, de prévoyance quasi delphique est une grave erreur et ne permet pas de comprendre le rapport avec la réalité que l’humanité doit entretenir, construire, re-construire…
Pour Riel Miller, la prospective est un sous-ensemble de catégories plus larges de systèmes et de processus d’anticipation. Ce qu’il tente de transmettre à propos de la prospective, c’est qu’il s’agit d’une des nombreuses façons d’utiliser la thématique “avenir”. L’approche courante du futur et la capacité qu’a l’humanité d’utiliser le futur sont en train de changer. Ce qui implique de changer la manière de poser les questions. Et de nouvelles raisons aussi bien que de nouveaux moyens d’imaginer le futur apparaissent, tandis que se dessine la distinction entre “anticipation pour le futur” et “anticipation des émergences”. Pour les futuristes, l’avenir est fictif, à l’instar des scénaristes qui inventent des fictions, mais les uns comme les autres utilisent des méthodes différentes pour l’écrire. L’important, c’est qu’il existe de nombreuses raisons et méthodes d’imagination – mais pour mieux comprendre ces systèmes et processus d’anticipation, nous devons poser la question : “à quoi sert d’imaginer l’avenir?”
Cet avenir sera-t-il dans un scénario à la Terminator ou à la Matrix ou n’importe quoi d’autre ? Tout cela n’empêche pas chacun de se poser une question essentielle : “A quoi sert le futur ?” Sert-il à enfermer la réflexion que chacun doit avoir dans le présent, à l’enfermer dans des idées, des certitudes ? Est-ce que les choix, les valeurs du présent vont s’emparer de notre lendemain, le dominer ? Encore une fois, le présent peut-il coloniser le futur ? A moins qu’il se présente un autre choix. Et Riel Miller nous invite à une attitude plus humble, plus ouverte, dans une perspective de respect de la nouveauté, de l’émergence, de la complexité… Tout ne peut être connu à l’avance. Il est vain de vouloir jouer au devin car la réalité est une source constante de véritable nouveauté, au sens bergsonien. Tous ces mots qualifiant le sort que se réserve l’humanité dans son voyage au sein de l’univers. De la sorte, cette humilité invite à utiliser le futur autrement. En annonçant que le futur n’est pas une cible, l’humanité peut surtout changer sa façon de regarder et comprendre le présent. Dans ce cas, le futur imaginé n’a plus rien à voir avec le futur tel qu’il sera vécu. Ce futur issu de constructions intellectuelles devient une différente façon d’aborder le présent. Si l’humanité peut arriver à utiliser équitablement ces deux perspectives, planification et émergence, le responsable de la Littératie du Futur de l’UNESCO considère alors qu’elle sera capable de marcher à grandes enjambées, au lieu de sautiller sur une seule jambe.
Riel Miller nous invite aussi à élargir l’espace ontologique — l’espace qui, dans notre temps, définit l’être humain — dans une approche résiliente afin que l’humanité puisse assurer sa pérennité, idée qui est peut-être plus fertile que l’actuelle ontologie qui ne voit dans l’humain qu’un conquérant juste propre à bétonner, planifier et qui partout cherche la certitude. Dans cette alternative, l’humanité pourrait accepter d’élargir la place qu’elle laisse à l’incertitude dans ses modes de prise de décision ainsi qu’aux possibilités offertes par une construction ontologique qui s’appuie sur l’imagination, sur la créativité. Dans cet élan de diversification du monde, pourquoi l’humanité ne pourrait-elle pas imaginer également une approche qui accepterait les aléas du réel au lieu de chercher en permanence l’assurance ?
Riel Miller ne veut pas imposer l’une ou l’autre méthode qui permettent d’appréhender le futur. Il note juste que le débat est incroyablement biaisé, pour un tas de raisons, que ce soit l’approche déterministe, une attitude défensive, une posture cherchant à assurer coûte que coûte une forme de continuité, une volonté pleine de certitude d’aborder la prévision. Tant et si bien qu’au final, ces attitudes étouffent l’imagination de l’humanité et réduisent la conception qu’elle se fait de son propre univers.
Ainsi, le prospectiviste constate que, en raison de notre parti pris pour la planification et le risque, nous finissons par faire des choses qui ignorent, qui obscurcissent et même sapent la créativité du monde émergent. Nous voulons être préemptifs, tout savoir à l’avance. Notre présent cherche étonnamment à promouvoir l’apprentissage en partant du principe que ce qu’une personne doit apprendre pour appréhender l’avenir est une valeur fixe, connue, quasi quantifiable alors qu’il faudrait doter cette même personne des capacités qui l’inciteraient à être spontanée et ouverte au monde réel qui est en voie d’émergence. On focalise la recherche sur de grands défis. D’autres effort sont, eux, canalisés pour des raisons de restriction de budgets, d’austérité, mais aussi parce que les urgences climatiques ne peuvent plus être ignorées… Tous ces éléments indiquent que, peut-être, de grands pas vont être réalisés. Mais, au regard de l’histoire, des découvertes et de la manière avec laquelle l’humanité a tenté de mieux comprendre ce qu’il se passait autour d’elle, les choses, finalement ne se sont jamais déroulées de manière planifiée. L’histoire témoigne d’un grand nombre d’erreurs et d’une démarche empreinte d’une grande sérendipité. Pour Riel Miller, cet acharnement à réduire certains enseignements comme, par exemple, l’études des langues mortes, latin et grec ou d’autres disciplines comme l’archéologie ou l’anthropologie… et a contrario, l’énergie consacrée à mettre en œuvre ces démarches volontaires et planifiées afin de construire un meilleur futur… tout cela fait porter au temps présent le risque de passer à côté de toutes les expériences qui, elles, ne sont pas planifiées ou volontairement conçues, mais qui, en permanence, sont en train de se dérouler dans le flux du quotidien, de la vie. Reil Miller note le paradoxe d’un présent riche d’expériences inouïes, alors que les efforts collectifs et institutionnels demeurent focalisés sur la construction de grandes solutions à de grands problèmes, le tout étant prédéfini d’avance. Mais, hélas, tout ce volontarisme ne correspond pas à la réalité des faits. Un des symptômes de ce paradoxe est la pauvreté qui ne cesse de croître dans un contexte de richesse globale… autre constat que fait Riel Miller : aujourd’hui les forcings scientifiques ou politiques sont plutôt une réflexion sur le déclin du système industriel, ou de masse, et sont révélateurs de la panique de ceux qui sont au pouvoir et qui cherchent à y rester.
Riel Miller ne partage pas cette approche. Laisser les petites fleurs pousser, là où elles sont, avec des petites universités, avec des petites unités de recherche, un peu partout, c’est bien aussi. On pourrait opposer à cette démarche un risque de ne voir à l’œuvre que des amateurs, mais pour Riel Miller, ces chercheurs ne le sont pas, car tout amateur peut devenir professionnel et, aujourd’hui, un professionnel d’un domaine très étroit peut être amateur dans d’autres. Et c’est peut être les domaines où ce chercheur est amateur qui vont devenir porteurs d’innovation, grâce au professionnalisme acquis dans son domaine initial. Les sauts de connaissances sont un phénomène très souvent constaté dans le contexte de découvertes scientifiques ou autres. Alors que, pour Riel Miller, si l’humanité essaye de faire de la réflexion et de l’invention une démarche mécanique, elle se perd.
Toujours dans cette démarche de renouveler le présent, Riel Miller a inventé l’expression Littératie du Futur”, en anglais “Future Literacy”. Il entend par ce terme une compétence à penser le futur, avec une fécondité d’idées autour de cette notion. D’autant que, si on imagine un futur, cette construction s’adresse au présent, c’est à dire qu’on est dans l’anticipation, au sens littéraire de la science-fiction. Cette démarche permet “l’utilisation du futur” malgré le fait que le futur n’existe pas. D’ailleurs, Riel Miller souligne aussi l’intérêt de l’hypothèse qu’une partie de la définition de la vie c’est l’anticipation. Un protozoaire, un arbre, la moindre petite bête, ont des systèmes d’anticipation. Ces systèmes d’anticipation ne sont pas, à l’évidence, conscients. Mais ces constats démontrent bien que l’anticipation, cette manière d’amener le futur dans le présent, est une démarche que l’on retrouve partout.
Riel Miller espère voir se mettre en œuvre un effort collectif afin d’approfondir les connaissances humaines sur ces sujets et voir se développer les compétences générales, parce que, c’est sa conviction, la littératie c’est une compétence qui à l’avenir se révèlera indispensable. Face aux enjeux de l’exercice de la liberté, face à la difficulté de fabriquer nos identités, au delà des certitudes imposées, certitudes qui ne sont plus porteuses, qui ne répondent plus aux envies et aux besoins contemporains, un des éléments clé va être la capacité de l’humanité à utiliser le futur, en se plongeant, en utilisant la littératie du futur. C’est à la constitution de ce fond de ressources que Riel Miller travaille à l’UNESCO. A ce sujet, Riel vient de publier un ouvrage, “Transforming the Future”, publié par UNESCO Publishing**, dont la traduction française est annoncée pour le printemps.
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