Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.
A suivre tous les vendredis.
2040
Pour 80 000 $, le droit à vivre un peu plus encore
Jusqu’en 2030, la greffe d’organes avait été un problème. Il fallait trouver un donneur, et surtout que ce donneur soit compatible, c’est-à-dire que le système immunitaire du receveur ne rejette pas l’organe greffé. Double difficulté que la technologie pouvait maintenant contourner en régénérant ou même en fabriquant l’organe, littéralement, à partir de cellules souches[1] du malade lui-même.
Régénérer consistait à injecter dans l’organe fatigué des cellules ayant la capacité de se développer en son sein pour prendre la relève, tandis que fabriquer consistait carrément à « imprimer » un nouvel organe à l’aide d’une imprimante dite « 3D ».
En effet, dès 2010 il était possible d’imprimer toutes sortes de choses en trois dimensions, au début, principalement des objets d’usage courant. Très rapidement, la médecine s’était emparée de cette technologie et, à la fin de cette même décennie, il n’était pas rare de voir la plupart des hôpitaux équipés d’imprimantes 3D permettant de créer des tissus humains[2], des prothèses ou certains cartilages comme par exemple celui de l’oreille. La question était évidemment de disposer de la matière première, à savoir de cellules souches différenciées.
En pratique, pour une personne adulte, obtenir des cellules souches est impossible puisque celles-ci doivent être prélevées sur l’embryon entre le 5ème et le 7ème jour ou dans le cordon ombilical à la naissance[3]. Dès 2010, des sociétés[4] proposaient de fournir des cellules souches compatibles avec celles du receveur, cette possibilité réservée aux personnes aisées n’était cependant pas autorisée dans tous les pays.
Dans les laboratoires du monde entier, passionnés par ce 21ème siècle de promesses, des hommes et des femmes réalisaient des exploits de technologie. En 2006, une équipe japonaise menée par le professeur Shinya Yamanaka[5] avait réussi à reconstituer des cellules souches à partir de cellules de la peau, appelées iPS[6], ouvrant ainsi la voie à une nouvelle médecine, celle qui consisterait à régénérer des organes vieillissants ou même à en fabriquer :
En simplifiant à l’extrême, si par exemple votre cœur montre des signes de faiblesse, à partir d’un prélèvement de peau, il est possible de générer des cellules souches compatibles avec votre système immunitaire, puis de les cultiver de façon à les différencier en cellules cardiaques adaptées à votre pathologie avant de vous les injecter directement afin qu’elles se développent dans votre cœur pour le régénérer !
A partir de 2030, la technique se pratiquait assez couramment, avec de bonnes chances de réussite, à condition de disposer de cellules iPS pas trop âgées, ce qui impliquait en pratique de procéder à un prélèvement avant l’âge de 40 ans.
Un marché s’était donc créé, constitué de personnes jeunes qui, en prévision d’un problème de santé pouvant nécessiter l’emploi de cellules souches, se faisaient prélever des cellules en vue de constituer une réserve d’iPS. Bien sûr, ce type d’opération était réservé à une certaine classe favorisée puisque, en 2018, son coût était de l’ordre de 50 à 80 000 €, auxquels il fallait ajouter les frais de stockage et de conservation renouvelés chaque année.
Rares étaient les pays où ce type d’opération pouvait être couvert par les organismes de sécurité sociale. Le « droit à vivre un peu plus longtemps » avait un prix.
[1] Les cellules dites « souches » sont les toutes premières cellules de l’embryon, elles sont remarquables car elles ont la capacité de se différencier en cellules spécialisées pour constituer tout organe ou tissu du corps humain. En modifiant les conditions de culture, il est possible d’induire et d’orienter leur différenciation vers tel ou tel type de cellules spécialisées : peau, muscles, neurones, cellules cardiaques, hépatocytes (foie), cellules du pancréas, rein, autres. Mais, pour éviter que l’organe ou le tissu destiné à être implanté ne soit rejeté par le système immunitaire du receveur, il faut bien sûr disposer de cellules souches de ce dernier ou compatibles avec son système immunitaire.
[2] Il s’agit de cas réels.
[3] Le don de sang placentaire permet de soigner de nombreuses maladies du sang et se pratique en France, surtout depuis 2009. Ce don reste anonyme et l’utilisation du prélèvement n’est pas réservée au donneur lui-même. On pourra consulter
http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/01/30/10707-pourquoi-conserver-sang-cordon-ombilical-bebe
[4] https://futurehealthbiobank.com/fr/ – Société située en Suisse et autorisée par l’OFSP, Office Fédéral de la Santé Publique
[5]http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/10/08/shinya-yamanaka-pere-des-cellules-ips_1771807_1650684.html
[6] Il s’agit en fait cellules souches pluripotentes induites (iPS), très proches des cellules souches.
Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur
« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »
Actuellement en souscription sur Ulule du 15/09 au 31/10/2020.
https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille
CALENDRIER
1 | INJECTION | 22 mai 2024 – l’IA contre le cancer | 6/09/2020 |
2 | DISRUPTION |
Septembre 2026 – de l’ADN et du prédictif au rabais |
11/09/2020 |
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Novembre 2029 – lorsque l’on préfère assurer les gens en bonne santé |
18/09/2020 |
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22 mai 2032 – la Sécu recommande le port d’un bracelet connecté |
25/09/2020 |
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2035 – La pré-consultation médicale en ligne devient incontournable |
2/10/2020 |
6 | VIOLATION |
21 juin 2037 : le génome, objet commercial ? |
9/10/2020 |
7 | REGENERATION |
2040 – pour 80 000 $, le droit à vivre un peu plus encore |
16/10/2020 |
8 | OBLIGATION |
2040 – lorsque l’analyse ADN sera incontournable |
23/10/2024 |
9 | SELECTION |
2048 – du préventif à l’eugénisme |
30/10/2020 |
10 | AMELIORATION |
2050 – le « droit au bonheur » |
6/11/2020 |
11 | AUGMENTATION |
2060 * mille fois plus intelligent |
13/11/2020 |
12 | DESTRUCTION |
2080 – tel un Deus ex machina |
20/11/2020 |
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