Tableau de Carol Galand
Une série de 13 chroniques sur la médecine du futur.
A suivre tous les vendredis.
Quoi donc de plus naturel que de mesurer au quotidien tout ce qui est important pour la santé, et qui est mesurable, s’évaluer, se connecter, échanger avec les autres, se comparer, prendre conseil auprès des spécialistes, des assureurs ? Avec les objets connectés, les données de santé allaient être facilement collectées, automatiquement, et de plus avec l’accord et même à la demande des intéressés, ce qui permettait de contourner la loi RGPD[1] sur la protection des données personnelles.
Avec la 4G, puis la 5G, à partir de 2025, l’utilisation d’objets connectés avait pris une ampleur considérable. Que ce soit à l’aide d’un simple bracelet, d’une montre ou, de plus en plus souvent d’une puce électronique sous-cutanée, chacun voulait mesurer toutes sortes d’indicateurs : température corporelle, rythme cardiaque, dépenses caloriques, nombre de kilomètres parcourus, exposition aux particules fines ou autres polluants, ou niveau de glycémie. Il fallait aussi surveiller son poids, sa masse graisseuse, son pouls, sa respiration, sa composition sanguine, ses selles, son humeur du matin, du soir, son sommeil, son environnement.
On appelait ça le « Quantified Health », la « Santé quantifiée », en anglais, bien sûr, puisque cette vague qui déferlait sur l’Europe venait des Etats-Unis. La santé n’ayant pas de prix, le potentiel de marché était fabuleux, infini. Google, Apple, Amazon, Ascension et Fitbit détenaient l’essentiel de l’activité, mais il y avait aussi des milliers de petits acteurs produisant une myriade d’applications, des plus utiles aux plus fantaisistes : brosse à cheveux, matelas, pèse personnes, fourchette, brosse à dents, réfrigérateur, berceau et baby-body connecté pour renseigner les parents sur la température du bébé, son activité, son sommeil et mille autres éléments totalement inutiles.
Anticipant ces développements de marché, aux Etats-Unis, la compagnie d’assurance Nord-Américaine Discovery[2] avait été autorisée en 2016 à lancer son offre d’assurance santé connectée « Vitality ». Le principe était simple : récompenser les assurés qui prennent soin de leur santé. Quoi de plus logique après tout ? Je mange sain, je ne bois pas, je fais de l’exercice, je surveille mes indicateurs médicaux et je suis donc moins exposé à un risque. Et dans ce cas, il n’y aucune raison que je paie autant que ceux qui ne font pas d’efforts.
En Europe, les compagnies d’assurance pouvaient intégrer Vitality dans leur offre commerciale, mais récompenser en numéraire un assuré qui avait atteint ses objectifs était formellement interdit. Seuls les cadeaux commerciaux étaient autorisés mais, sachant que le législateur était resté muet sur les Bitcoins, les Tokens et autres monnaies cryptées ou bons d’achat, il était clair que les barrières législatives finiraient par être enfoncées.
Ethiquement, cette idée de discrimination était insupportable, mais d’un autre côté, une telle mesure pouvait amener naturellement les gens à surveiller un peu mieux leur mode de vie, ce qui constituait un enjeu majeur de santé publique auquel le législateur européen ne pouvait pas rester insensible.
En novembre 2029, s’appuyant sur les Traités de libre-échange, les compagnies d’assurance américaines avaient fini par forcer les Autorités Européennes à autoriser des réductions de prix pour les assurés connectés qui atteignaient leurs objectifs.
Evidemment, les premiers clients étaient les gens en bonne santé, ou qui pensaient l’être, mais, après quelques années seulement, il devenait pratiquement impossible de souscrire une police d’assurance sans passer par ce type de contrats.
Et demain, l’ADN ?
Le Code des Assurances autorise le questionnaire de santé[3], parce que l’on ne peut s’assurer que contre un risque potentiel et non déclaré. Une pathologie étant un risque constaté au moment de la souscription du contrat, l’assureur est en droit de refuser votre dossier ou de vous proposer un tarif plus élevé.
Avec le bracelet connecté, l’Assureur connaît tout de vous, ou presque. Car il reste l’ADN. Mais alors, si votre ADN révèle un risque à 65% de développer un diabète, est-ce un risque avéré ?
Textes extraits et adaptés par Jean-Pierre Galand du livre du même auteur
« Cette délicieuse odeur de pain grillé, 2084, cauchemar technologique ? »
à paraître en souscription sur Ulule du 15/09 au 31/10/2020.
https://fr.ulule.com/une-delicieuse-odeur-de-pain-grille
Note : pour le moment, en 2020, la Conférence générale de l’UNESCO[4] interdit la discrimination à partir de l’analyse de l’ADN. Mais, devant la pression des marchés, que vont devenir ces bonnes intentions ?
[1] RGPD : Règlement Général sur la Protection de Données
[2] Discovery existe réellement et propose ce type d’assurance. Voir discovery.co.za/portal
[3] Questionnaire non autorisé pour les mutuelles dont le principe est justement de mutualiser les risques. On remarque toutefois que les mutuelles qui n’imposent pas de questionnaire au moment de la souscription sont plutôt rares.
[4] http://www.unesco.org/new/fr/social-and-human-sciences/themes/bioethics/human-genome-and-human-rights
CALENDRIER
1 | INJECTION | 22 mai 2024 – l’IA contre le cancer | 6/09/2020 |
2 | DISRUPTION |
Septembre 2026 – de l’ADN et du prédictif au rabais |
11/09/2020 |
3 | CONNEXION |
Novembre 2029 – lorsqu’on préfère assurer les gens en bonne santé |
18/09/2020 |
4 | OBSESSION |
22 mai 2032 – la Sécu recommande le port d’un bracelet connecté |
25/09/2020 |
5 | CONGESTION |
2035 – La pré-consultation médicale en ligne devient incontournable |
2/10/2020 |
6 | VIOLATION |
21 juin 2037 : le génome, objet commercial ? |
9/10/2020 |
7 | REGENERATION |
2040 – pour 80 000 $, le droit à vivre un peu plus encore |
16/10/2020 |
8 | OBLIGATION |
2040 – lorsque l’analyse ADN sera incontournable |
23/10/2024 |
9 | SELECTION |
2048 – du préventif à l’eugénisme |
30/10/2020 |
10 | AMELIORATION |
2050 – le « droit au bonheur » |
6/11/2020 |
11 | AUGMENTATION |
2060 * mille fois plus intelligent |
13/11/2020 |
12 | DESTRUCTION |
2080 – tel un Deus ex machina |
20/11/2020 |
13 | HOLD-UP |
2020 – un mauvais rêve ? |
27/11/2020 |
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