Le principe est ingénieux en apparence, et ambigu en réalité.
Puisqu’il y a de plus en plus de voitures, de plus en plus d’embouteillages, et donc toujours plus de pollution, trouvons une parade pour désengorger les rues, et surtout les routes, de leurs voitures. Mettons au point un véhicule aérien, qui survole les villes au lieu de les traverser, et partant d’un jardin privé ou du parking le plus proche, vous fasse échapper à tout cet engorgement.
Quel confort, de survoler ainsi le jardin des autres, les maisons, les immeubles, les fleuves, glissant sans heurts, comme un gros oiseau. Quel temps gagné, surtout. Il faut une heure en moyenne pour relier Brooklyn à l’aéroport Kennedy ? Avec votre traceur aérien, vous y serez en moins de vingt minutes. Peut-être plus vite encore, si vous foncez.
Une idée si simple et si joyeuse ne pouvait que tenter certains industriels utopistes, d’autant que les moyens techniques dont on dispose rendent évidemment possible, et donc réalisables, ce modeste rêve icarien.
Ainsi, Kitty Hawk, une start-up soutenue par Larry Page, a dévoilé récemment le prototype d’un appareil à tiers chemin entre le drone, la voiture et l’hélicoptère. Il décolle à la verticale et peut atteindre en vol les180 km/h. L’aventure se présente donc assez bien.
Elle se présente bien parce que le principal financier, Larry Page, patron effectif de Google et septième fortune du monde à titre personnel, a les moyens de ses lubies. Rien de ce qui est l’avenir immédiat ne lui est étranger. Être à l’origine d’un moteur de recherche qui en dix ans, a conquis le monde entier, lui donne des ailes. Il est, peut-être pour cette raison, très engagé dans le transhumanisme, dont la définition équitable ne se trouve pas sur Google.
Il ne s’agit pas d’un projet global d’amélioration des conditions de vie de l’être humain, dans l’exercice de son propre corps, en en évacuant peu à peu la maladie, la souffrance, les lacunes, et à terme, la mort. Il s’agit d’un mouvement religieux qui vise à prolonger indéfiniment la vie de certains individus, en réinventant pour eux la notion de transmigration d’âmes, ou de réincarnation, l’âme réincarnée étant en fait l’esprit juvénile et fécond de quelques nababs de la Silicon Valley. En l’occurrence ici, Larry Page est dans son personnage en encourageant l’invention et l’essor des voitures volantes avec un juvénile aveuglement.
Car de même que l’extrême longévité, a fortiori l’immortalité, n’est envisageable, d’un point de vue pratique, que si elle ne concerne qu’une faible fraction des sept ou huit milliards de terriens actuels, et devient une perspective catastrophique si les gens vivaient trois cent ans ou ne mourraient plus jamais, de même, une supposée machine volante dans l’espace aérien des villes surpeuplées ne constitue une amélioration que si elle n’est pas entourée de trois millions d’autres oiseaux habités, sur quelques kilomètres carrés du ciel. Car même si chaque appareil se déplace en trois dimensions, on envisage mal qu’il faille monter à 10.000 pieds pour dépasser un conducteur un peu lambin.
C’est sans doute pour cela que la notion de voiture volante est souvent associée à celle de taxi volant : c’est-à-dire à des véhicules en nombre limité, ayant chacun leur contrôle aérien intégré. Tel en Nouvelle-Zélande, où un service d’aérocab fait l’objet d’une étude avancée.
Toutefois il apparaît que l’industrialisation d’un modèle de ce type, techniquement sophistiqué et donc coûteux, ne sera pas facile, si le marché est limité aux seuls taxis, y inclus les Uber. Lancer des produits réservés, quand le nombre total d’acquéreurs possibles se chiffre en quelques millions, et non en milliards, est plus acrobatique que de les inventer. Il est vrai qu’en Angleterre, il existe des modèles de voitures strictement destinés aux taxis, mais leur technologie, leur moteur, sont ceux des voitures courantes ; seul leur aménagement diffère. Ce ne sera pas le cas avec un taxi volant.
Il y a d’ailleurs une certaine ambiguïté dans les termes même de voiture volante : à première vue, si on en juge par les prototypes, c’est un véhicule aérien, rien de plus ; une sorte d’hélico personnel plus facile à manier qu’un vrai hélicoptère, mais voué à voler ou à rester au sol, sans autre choix. Nous sommes loin de l’appareil multifonctions, qui roule, vole, et pourquoi pas, navigue, selon les surprises du voyage. On n’a pas intérêt à avoir une panne.
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