Biodiversité et Développement durable dans le cadre du 60ème anniversaire du lancement du premier satellite de l’humanité, Spoutnik1. C’était à Paris, le Mercredi 4 Octobre 2017, dans l’Auditorium du Nouveau Centre Culturel Russe, au 2 Av. Rapp et ce fut épatant, inspirant, gourmand.
Paola Antolini Spadafora, journaliste, anthropologue, invitait avec un enthousiasme contagieux à célébrer la première incursion de l’humanité au-delà de son pré carré. Elle a pensé l’évènement comme une fête et l’a réussi.
Dans l’amphithéâtre du Centre spirituel et culturel de l’Avenue Rapp, au pupitre et dans les trois tables rondes, des récits de réconciliations élégants, pétillants et savants ont exploré l’impact du vol du Spoutnik. Personne n’était dupe de la configuration des astres au moment de ce premier vol. La guerre froide etc… Mais le ton a été donné avec le premier discours du représentant de S.E.Alexandre Orlov , Ambassadeur de la Fédération de Russie en France (qui n’avait pas pu venir). Dans un français parfait Mr Artem Studennikov, ministre conseiller, chef de mission adjoint, a lancé l’évènement avec humour, revendiquant certes la paternité du premier pas de l’humanité vers les étoiles mais dans un esprit facétieux, presque modeste. Sergey Saveliev, Directeur Général Adjoint de Roscomos pour la Coopération Internationale, introduit la manifestation. Le temps de cette soirée n’était pas à la confrontation mais bien à la réconciliation : spirituelle dans les deux sens du terme, culturelle car on parla philosophie, science et prospective. Les aventuriers du futur qui étaient présents semblaient savoir de source sûre qu’on n’ira vers un avenir souhaitable qu’en dépassant les frontières des disciplines.
Inspirés par les futurs voyages vers Mars et les improvisations au piano de Georges Boukoff qui proposait des subtiles et sublimes sutures musicales entre passé, présent et futur , les invités ont plus que rempli leur contrat.
J’avais répondu à l’invitation d’Hervé Fischer, artiste, philosophe et ami. J’étais heureux à la perspective de le retrouver. Il venait de clore son expo personnelle à Beaubourg et bouclait ainsi une année plutôt triomphale. J’ai vu Hervé. Nous nous sommes congratulés avec la même ferveur depuis qu’on se connait. Et le vaisseau spatio-technico-philosophique de Paola a décollé et je suis resté sidéré.
Dans le hall d’entrée Thomas Pesquet répondait à l’interview d’une journaliste russe deux fois grande comme lui – non pas qu’il soit petit mais la dame était impressionnante. Notre astronaute star est un grand performeur : pas une once de prétention, une patience infinie à répéter forcément plus ou moins les mêmes choses depuis son départ dans la station spatiale. Cette simplicité qui, me semble-t-il, a été reconnue et applaudie dans les médias était au rendez-vous là encore. Il fut vite entrainé dans l’amphithéâtre où il reprit la (même ?) parole – trop courte car il était attendu au Quai d’Orsay. Jusque-là pas de quoi être sidéré… sinon que Paola orchestrait l’événement avec gouaille, simplicité et efficacité et fit monter sur l’estrade probablement le plus impressionnant parterre de savants enjoués, d’experts passionnés et empathiques qu’oncques ne vit de longtemps dans mon agenda.
J’ai bien aimé le principe qui voulait que chacun prenne la parole pour un court laps de temps avec ou sans images sur l’immense écran derrière lui.
Le fil rouge était Biodiversité et Développement durable. Il fallait donc faire un lien avec les étoiles.
Que voici :
Hubert Reeves rappelle que l’astronomie explore le début de notre histoire et que l’écologie cherche à la prolonger. Il est inquiet. Il n’est pas sûr que l’humanité soit encore présente quand la fusée partira sur Mars. Y aura-t-il quelqu’un à bord ? semble-t-il induire. « On ne donne pas des allumettes à des enfants » conclut-il. Trump et Kim… sales gosses.
Thomas Pesquet nous remonte un peu le moral, sans être dupe des dangers. Il a connu lui- aussi le syndrome de la Planète Bleue qui fait que quand on la voit d’en haut on se dit que la Terre mérite mieux que ce qu’on fait d’elle.
Hervé Fisher en explorant le thème de la conscience augmentée souligne la signification symbolique culturelle majeure de l’évènement que nous vivons Avenue Rapp et qui se fonde sur une solidarité interdisciplinaire. L’évènement Spoutnik est celui de l’émergence d’une conscience planétaire. La biodiversité est culturelle, elle constitue la base de la révolution humaine qui est en marche. Les mutations technologiques vont plus vite que celles de la sagesse humaine, c’est cette conscience planétaire qui doit permettre de combler l’écart. Il convoque l’importance des échanges entre savants et artistes, entre philosophes et politiques – ce que nous vivons ce soir.
Ne pouvant tout noter des interventions, je cherche en écrivant ce papier des informations on line sur les participants. C’est le charme de l’évènement, il donne envie d’en savoir plus. Il rend modeste sur son maigre savoir. Mais plus encore il est déclencheur. Il lance sur des pistes. Il stimule.
Tous ces intervenants sont porteurs d’un récit quasiment mythologique pour les temps à venir. Mythologies modernes, composites, impertinentes…
Naziha Mestaoui, architecte de formation, passionnée par la physique quantique est allée en Amazonie pour observer la manière dont l’énergie et l’information circulent là-bas. En l’écoutant on sent que cette énergie l’a imprégnée. L’aventure, la science et l’art s’hybrident en elle. En résidence dans une tribu, elle a découvert des populations entretenant un rapport intuitif à la nature : “One Heart One Tree” est né de cette expérience. A son retour, elle a voulu la partager en offrant à chacun la possibilité d’être acteur du changement. Elle a déposé un brevet de mapping vidéo et 3D en temps réel : une technique innovante qu’elle utilise sur “One Heart One Tree”. En ouvrant le champ des possibles, les technologies numériques et interactives permettent de réinventer le collectif. En juin, une campagne de financement participatif sur Kickstarter lui a permis de planter 8 736 arbres, en récoltant 62 854 euros auprès de 946 contributeurs. Une mobilisation citoyenne qui colle à l’esprit de réseau du projet.
Jacques Rougerie parle de ses deux passions, la mer et l’architecture. Il fonde ses recherches et ses réalisations sur une Architecture bionique, notamment marine et tenant compte du développement durable, dans le but de sensibiliser les hommes au rôle de la mer dans l’histoire de l’humanité. Un Capitaine Nemo lumineux dont le génie sauverait l’humanité ?
Jacques Arnould est un théologien qui veut mettre de l’humain dans les étoiles. Pour lui l’important ce sont les rencontres : « les fusées ça n’est rien, s’il n’y a pas d’humains ». Au-delà de l’exploit technologique, comment « en faire profiter un maximum d’humains dans leur vie quotidienne ou dans leurs rêves, leur créativité ? ». Je suis bien en peine de lui trouver un avatar mythologique. Non pas que la réflexion des théologiens face à la science soit nouvelle mais parce que j’hésite entre le paradigme Teilhard de Chardin et le paradigme Démocrite. Teilhard pour la Noosphère (sphère de la pensée humaine comme on sait) et Démocrite pour sa conception atomiste de l’univers. Je me retrouve avec un Démocrite, savant, voyageur et surtout champion du rire (il riait de tout) et plutôt asocial. Ça ne colle pas avec Arnould qui sourit avec bienveillance et qui – après cette soirée – parle longuement avec Olivier Parent dans Futurhebdo.
Stavros Katsanevas est spécialiste des Ondes Gravitationnelles, Directeur du Laboratoire d’’Astroparticules et Cosmologie et il va diriger le Laboratoire VIRGO en Toscane. Son intervention est bien résumée ici :
http://www.dailymotion.com/video/x9oydj
Frissons assurés.
Pascal Erhel Hakuutu est venu des Iles Marquises. Il est directeur de Motu Haka et responsable du dossier de candidature des Marquises au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est bien loin les Marquises. Il le dit lui-même. Ne serait-il pas l’incarnation de l’extra-terrestre dont la théologie se demande parfois s’il a une âme ? La réponse est cinglante, chantante, majestueuse. Une âme ? il en a pour deux ! Il parle, entonne un chant traditionnel, évoque son bout du monde comme un bout de cosmos. Il a lutté pour la COP 21. Il a les pieds sur terre et le cœur sur l’océan. Et surtout il relie la connaissance des étoiles au fond culturel et spirituel de l’humain. Il y a dans ses évocations de la navigation traditionnelle une dimension mythique. J’ai Ulysse sur le bout des lèvres…
Chacun s’écoute.
Prennent la parole ensuite astronomes et astronautes, savants et aventuriers de l’espace qui se penchent tous sur la planète et son avenir.
Depuis le 28 août 2017, Lionel Suchet assure les fonctions de Directeur Général Délégué du CNES. Polytechnicien Ingénieur Général de l’Armement, c’est dans le domaine des vols habités qu’il fait son apprentissage du domaine spatial, puisqu’il a consacré les 15 premières années de sa carrière au CNES à cette activité. Il a notamment mis en place le CADMOS qui, aujourd’hui encore, est le centre responsable de la physiologie humaine spatiale pour toute l’Europe. On sait que Cadmos dans la mythologie a tué le dragon et fondé Thèbes. Au travers de son parcours, Lionel Suchet a mis son savoir au service de projets dans de nombreux pans du spatial tels que les sciences de l’univers, l’océanographie, les télécommunications, la navigation, l’observation et la défense. Il est dans cet évènement à la fois Hermès et Héphaïstos. Du second il tient son savoir sur le feu, la forge, la métallurgie : il maîtrise sciences de l’Univers, altimétrie et océanographie spatiale, télécommunications, navigation, observation et défense. Le premier était le gardien des routes et des carrefours, le patron des voyageurs, le conducteur des âmes, le messager de Zeus et des dieux et le dieu du commerce … Ils sont tous les deux les dieux des gymnases et Je me plais à imaginer ce soir le cosmos comme un gigantesque gymnase dont Lionel Suchet a les clés de compréhension. Elles permettent de pénétrer et comprendre les confins de l’univers. C’est lui la puissance invitante qui surplombe.
Et c’est lui aussi qui comme presque tous les interlocuteurs de ce soir convoque son enfance, les émerveillements de sa jeunesse, les moments de bascule qu’ont été Spoutnik, l’alunissage de 1969, ces moments de révélation, d’ouverture dont je me demandais s‘ils étaient si différents d’une révélation mystique, un chemin de Damas pour Paul, la statue de la Vierge du Pilier pour Claudel (tiens un Paul aussi !).
Alors que je méditais sur le fait que certains discours étaient parfois un peu convenus, peut-être un peu stéréotypés autour d’une bien-pensance formatée, j’entendis cette phrase : « de l’infiniment générique à l’infiniment personnel ». Dans mes notes je ne parviens pas à l’attribuer. Il faudra que je demande à Paola. Celui qui a dit cela parlait au nom de tous et désignait avec une puissance stupéfiante l’ensemble de l’expérience du vivant – celle de ce soir, celle de l’humanité. Elle disait pour moi, cette phrase, que toutes les recherches scientifiques, philosophiques, artistiques englobaient le monde, qu’elles allaient chercher dans le vaste univers la totalité de l’expérience cosmique et y trouvaient la totalité de l’expérience personnelle de chacun. C’était un peu vertigineux. Pas forcément nouveau : la Gnose selon laquelle le salut de l’âme passe par une connaissance directe de la divinité et donc par une connaissance de soi – les alchimistes aussi – sont là-dedans depuis des millénaires… Mais la nouveauté pour la nouveauté a-t-elle de l’intérêt ? si ce n’est anecdotique pour faire les titres de journaux… ce qui est intéressant c’est que justement ce soir dans cet amphithéâtre pluridisciplinaire où nous nous penchons vers l’avenir , les sagesses archaïques viennent nous seconder, telles des guides qui vont nous faire traverser la rivière magique, les forêts enchantées. Ce n’est pas nouveau, c’est dynamique, moteur, refondateur.
Maintenant, souvenez-vous : quand le paganisme antique prit manifestement fin, un cri, tiré de Plutarque, traversa l’Empire romain : « Le grand Pan est mort ! Le grand Pan est mort ».
Les interprétations divergent : était-ce l’annonce précisément de la fin de ce monde ? celle de l’émergence de la religion nouvelle portée par le shaman de Nazareth ? le moment de bascule vers les temps modernes ?
C’était la fin d’un cycle.
Aujourd’hui le Grand Pan est de retour. Il a terminé sa longue hibernation et s’apprête à ensemencer à nouveau le monde. Les dieux ne meurent pas. Ça se saurait. Spoutnik a réveillé le Grand Pan. Les philosophes stoïciens l’identifiaient à l’univers, à la nature intelligente, féconde et créatrice. Les chrétiens l’ont associé au démon. Il est aussi le dieu de la foule hystérique, prise de panique. Destructeur ou écolo, satanique ou enchanteur, c’est aussi, dit-on, un dieu-lune, ça tombe bien pour ce soir.
Le retour de Pan est une nouvelle fantastique. La nature reprend la parole, comme Pan elle est chargée d’énergie autant positive que négative, implosive qu’expansive, centripète que centrifuge.
Avenue Rapp j’ai eu le sentiment qu’avec de bons pilotes on allait pouvoir surfer sur ces tensions et passer le cap.
Rendez vous dans mille ans.
et pour une visite en couleur le lien vers le reportage avec tous les intervenants:
http://www.planetastronomy.com/special/2018-special/04oct/Spoutnik60ans.htm
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