On ne peut pas toujours vivre dans l’autre monde. Dans celui-ci, pour s’en sortir, il n’est pas mal d’assumer une certaine technicité. Surtout en matière d’autonomie financière, sans laquelle il n’y a pas d’autonomie du tout.
Dès qu’il s’agit de nos finances, c’est-à-dire de nos existences, les banques sont au centre du jeu. La possibilité de se passer d’elles a disparu. Dans le monde omni-commercial qui est le nôtre, elles constituent une réalité incontournable et intrusive.
Pendant longtemps, le schéma officiel était des plus simples. L’argent qui pouvait nous appartenir ou qui transitait par nous était placé à la banque en tant que dépôt. Et la banque se rémunérait grâce l’usage autorisé, placements ou prêts, qu’elle pouvait en faire. Elle nous payait en échange un léger intérêt. Elle nous rendait notre argent à la première sollicitation, sauf si nous l’avions investi par son entremise, et qu’il fallait le temps de liquider les positions.
Cette époque-là est devenue mythologique. L’idée que l’argent du client appartient au client, uniquement au client, qui est libre de s’en servir comme il veut, n’est plus d’actualité.
La position actuelle, établie, des banques et des institutions qui les contrôlent est désormais, que le client est quelqu’un qui « investit » dans la banque où il a ses comptes, et qu’il est donc solidaire du sort de cet établissement. Cette solidarité est bien sûr à sens unique : les banques se protègent des risques de leurs clients, en multipliant les garanties et les clauses d’évitement. Elles ne songent pas un instant à partager les risques avec eux ou à les mutualiser. L’intérêt que présente un public captif, c’est que pour lui il n’y a pas d’extérieur. Il n’a pas le choix entre banque et non-banque. Il est juste libre de choisir son agence bancaire.
La généralisation de l’argent numérique, la restriction légale de l’usage du cash et sa future disparition vont dans le même sens : la maîtrise de son propre argent est devenue contingente.
Il fallait ce coup de force progressif pour rendre possible le fait que l’argent, sur les comptes courants et « d’épargne », ne soit plus rémunéré et qu’au contraire, le principe de la rémunération négative commence à entrer en vigueur. De leur côté les États ne garantissent les sommes déposées que pour une partie, en cas de crise systémique ou de faillite simple – une garantie d’ailleurs sans grande crédibilité.
Sans doute, la cause première du rendement négatif tient à d’autres facteurs que l’égoïsme abstrait des banques : elles ne sont pas les créateurs, mais les intermédiaires, de cette politique globale de la dette à laquelle s’adosse désormais l’ensemble du système financier.
Il n’y a plus d’étalon-or, ni d’étalon-dollar : il y a un étalon-dette, dont la garantie est volatile, puisque le quantitative easing (aussi appelé planche à billets) est illimité. La politique des États, le jeu de qui perd-gagne des banques centrales, le rôle déterminant et occulte des établissements financiers non bancaires (fonds de pension, gestion de fortune, grosses compagnies d’assurance…) produisent et favorisent cette bulle démesurée.
Les banques généralistes, poussées par la vitesse de la dette, peu à peu se sont réorganisées pour entrer à leur tour dans le grand jeu financier, non seulement sans tenir compte de l’intérêt de leurs clients, mais même contre leur intérêt. Pourquoi feraient-elles preuve d’un excès de délicatesse ? Leurs clients n’ont aucune porte de sortie. L’usage des banques est obligatoire et généralisé.
C’est un procédé digne de la mafia de nous obliger à être clients d’une banque, de nous contraindre à payer pour les services qu’elle nous rend malgré nous, et de nous déposséder de l’usage authentique de nos biens : nous en sommes pourtant arrivés là, sans l’avoir souhaité.
Recourir à des services quand on en a besoin, dans le cadre d’une transaction librement consentie : rien de mieux. Payer pour des services imaginaires, au moment où la plupart des clients assurent eux-mêmes leurs opérations courantes par internet, et où l’accès au crédit est fixé par des protocoles et non par le jugement d’un conseiller, ce n’est pas une relation équilibrée. Les commissions directes ou indirectes que les banques prélèvent sur les divers mouvements (à commencer par le génial subterfuge de la « date valeur », qui permet de créditer une rentrée plusieurs jours après l’avoir perçue), sont la rémunération des banques, de même que les investissements des dépôts et l’effet de levier que ces dépôts permettent. La nouveauté est de faire payer le client deux fois.
L’activité bancaire généraliste est un commerce comme un autre. Il s’effectue dans un cadre légal, et non moral. Il consiste à faire passer l’intérêt de l’entreprise avant celui du client.
Il ne faut pas se laisser impressionner par le fait que « notre banque » brasse des milliards, et nous, seulement quelques modestes milliers, et que donc la différence de grandeur entre elle et nous est incommensurable. Il ne faut pas croire que pour cette raison, la logique bancaire répond à des critères sérieux mais qui ne nous sont pas accessibles. C’est peut-être exact rapporté à l’activité générale d’une institution financière. C’est faux en matière de gestion de nos activités et de nos avoirs personnels. Le fait pour la banque d’avoir une clientèle d’affaires, des investissements gigognes, des engagements internationaux, n’implique pas pour autant que nous renoncions à nos intérêts du seul fait que nous avons un compte dans cet établissement.
La vérité est qu’une banque soigne ses intérêts avant les nôtres. Que les conditions qu’elle nous impose n’ont rien à voir avec le consentement mutuel. Nos deux logiques sont antagonistes. Nous sommes en concurrence, pas en partenariat.
Il suffit de voir les produits financiers que les conseillers de clientèle nous présentent. Entre les frais d’entrée et les frais de gestion, les gains hypothétiques sont rabotés d’entrée de jeu. Et les résultats des produits concernés sont singulièrement bas. Parce que la Bourse est fluctuante ? Parce que le marché est volatile ? Ou parce qu’il s’agit d’un pacte commercial déséquilibré ? N’est-il pas possible de se débrouiller mieux tout seul ? Ou de s’adresser à un conseiller indépendant ? Ou de se former pour comprendre les règles du jeu, assez simples d’ailleurs ?
On peut noter que les packages d’investissements financiers proposés par les banques font toujours beaucoup moins bien, sur le moyen terme, que la Bourse, et à peine mieux que l’inflation. Les seuls gains indiscutables sont le fruit des commissions, frais d’entrée et frais de gestion, que nous payons et qui ne seront jamais vraiment rattrapés. Rien d’étonnant, puisqu’entre les banques et nous, le résultat est à somme nulle : ou elles, ou nous, seront les vrais gagnants.
La différence entre les services formatés d’une banque et la recherche de solutions personnelles efficaces est fondamentale : c’est celle qui sépare l’autonomie financière de la dépendance perpétuelle à l’argent. Autant dire la différence entre la soumission et la liberté Tout doit être fait pour sortir de ce jeu de dupes, pour réduire au maximum l’usage des banques et le limiter à un système de transmission technique, et pour gérer la totalité de ses ressources avec une pleine maîtrise de ses décisions. L’enjeu est clair : veut-on être maître de sa vie, il faut s’en donner les moyens.
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