Santel fait le buzz sur l’Hypernet: la Délégation Nationale du Ministère Européen de la Santé vient de faire paraître au Journal Officiel l’autorisation de mise sur le marché de l’implant sclérotique à visée haute du géant de l’informatique. Il était grand temps que ce dispositif biomécanique puisse être implanté légalement en Europe car beaucoup n’hésitaient pas à se rendre à l’étranger pour se faire appareiller…
L’IV, Implant à Visée haute, va souvent de pair avec un autre implant: l’IC, Implant Cochléaire. Cet ensemble permet un contrôle total des communications et des données embarquées par simple commande cérébrale: l’image est projetée par l’IV sur la rétine, l’IC fournit le son !
En plus de l’accord sanitaire d’innocuité, le décret du Journal Officiel donne surtout son aval au système de financement des implants. La paire IV-IC coûte cher… très cher. Ceux qui se font équiper s’engagent sur de longues durées. La Commission européenne a réussi à imposer l’Opt-Out. Ce système permet à un individu implanté d’interrompre son abonnement pour une durée plus ou moins longue, après paiement d’indemnités au fournisseur d’implants biomécaniques. Celui-ci envoie alors un code de désactivation. L’implant devient inerte jusqu’à réactivation.
Concernant ces implants, les institutions européennes ont réagi avec une célérité qui leur est peu coutumière… Elles y ont peut-être vu le moyen de détourner l’attention du public d’un sujet encore plus sensible:
le remplacement d’un organe valide par une prothèse biomécanique. En effet, en quelques générations de prothèses, l’aveugle qui aujourd’hui est appareillé d’un œil artificiel voit mieux qu’un individu disposant de ses organes originels. Celui qui était déficient a désormais accès à
un sens qui surclasse en tout le monde organique : il voit mieux, plus loin, il perçoit des spectres de la lumière inaccessibles à l’œil naturel… Il en va de même avec
le paraplégique qui, lui, court mieux, danse mieux, skie mieux… Celui qui était diminué par la maladie ou le handicap, une fois appareillé, suscite la jalousie chez ses contemporains valides. Le terme « valide » est en passe de perdre tout sens dans un monde où maladie peut devenir synonyme d’amélioration. Tous ces éléments contribuent à inciter de plus en plus de pays à revoir leur copie législative.
Et pourtant, à bien y regarder, tout a commencé voilà bien des années… Avant même l’apparition des appareillages améliorants modernes, la première à avoir évoqué ce changement de paradigme dans les rapports entre individus “améliorés” et individus « valides » fut la top modèle et sportive de haut niveau,
Aimee Mullins. L’égérie de L’Oréal qui, en l’absence de péroné, avait du être amputée sous les genoux à l’âge d’un an, racontait, dans les années dix, avec un sourire radieux, comment elle pouvait susciter de la « jalousie », ayant toujours avec elle sa valise de jambes… La bonne paire de jambes pour le bon moment… pouvoir discrètement se grandir de quelques centimètres, sans même porter des talons excessivement hauts!
Certaines modifications génétiques qui, dans un premier temps, ne se justifièrent que dans un cadre strictement médical, suscitèrent elles aussi des demandes dans le grand public. La résolution de certains cas pathologiques a néanmoins permis la maîtrise de la modification génétique chez un individu “normalement” constitué. Ainsi, après que les victimes de la xeroderma pigmentosum, les enfants de la lune, ont été guéris, il fut aisé pour un laboratoire de développer et breveter un traitement génétique qui permit de doter la peau humaine d’une plus grande résistance aux agressions du soleil. Pas vraiment indispensable, mais dans un monde au climat perturbé, ce traitement pourrait vite devenir une amélioration « must have »!
Si le législateur traîne des pieds à traiter ces améliorations hors de la nécessité médicale, c’est qu’au travers de ces dites améliorations, on aborde une réflexion bien plus profonde qu’il n’y parait. On pourrait la formuler de la sorte : depuis l’aube de l’humanité, on n’a pas fait mieux que le corps biologique pour porter la conscience humaine… Et pourtant, en termes de marketing, ce corps est resté trop longtemps un non-sens : il n’est qu’un corps biologique qui se perpétue de génération en génération, selon les règles de l’évolution, sans que rien ne puisse y être changé, ni amélioré. Quelle révolution ce serait de faire du corps humain un objet malléable à volonté, dont on ferait enfin la publicité, pour lequel on pourrait vendre des options !
Si une telle proposition, aujourd’hui, ne semble plus choquer, il n’est pas inutile de rappeler qu’il y a peu encore, au début du 21ème siècle, la société occidentale était fortement influencée par les cultures issues des religions du Livre. Ces religions déterminaient une conception du corps de l’homme chargée des messages de la foi dans le dieu unique de la Bible : la vie est un don de ce dieu, donc la vie est sacrée. Le corps, réceptacle de la vie, est de même sacré et mérite tous les respects. D’autres philosophies et religions, de par le vaste monde, pouvaient rejoindre cette conception occidentale.
Deux générations séparent ces deux définitions. Dans cet intervalle de temps, quelques événements clés ont participé à la désacralisation du corps de l’homme. Ça a été, au tournant du millénaire, le cas des bébés-médicaments, ces enfants conçus pour être génétiquement compatibles avec un frère ou une sœur malade. Ils devenaient ainsi banque d’organes indispensables à la survie de leur aîné. À la même époque et dans un autre domaine, peuvent être également cités les propos du professeur
Severino Antinori ou de
Claude Vorilhon, alias Raël, qui revendiquaient, sur les grands réseaux médias, le clonage reproductif comme moyen de reproduction alternatif et légitime.
Les étapes qui se succédèrent pour aboutir au monde tel que nous le connaissons ont été nombreuses, les débats non plus n’ont pas manqué. Si on assimile l’évolution à un train, l’être humain, comme toute autre espèce vivante, se trouve dans ce train comme un simple voyageur, incapable d’en influencer la direction. Or, aujourd’hui, il semblerait que l’homme doté des derniers outils issus de l’évolution technologique puisse, pour la première fois de son histoire, influer sur les aiguillages de l’évolution. Cette capacité nouvellement acquise a modifié la perception même de notre monde. Sans y prêter garde, nous sommes entrés de plain-pied dans une conception digitale de l’être opposée au somatique, conception qui prévalait jusqu’au tournant du millénaire. En d’autres termes, la valeur d’un sujet observé n’est plus liée à sa nature (être et corps indissociables) mais à l’information issue, portée par le dit sujet. Reste une question à poser : l’humanité a-t-elle pénétré dans une nouvelle nature de son être, une nature que la volonté et la raison peuvent modeler ? Ou l’homme n’a-t-il fait que persister dans la voie d’une hyper-consommation, chemin initié au cours de la deuxième moitié du siècle précédent ?
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