ESPACE PRIVÉ : JUSQU’OÙ ?
Avec 4 autres, cet article de « journaliste prospectiviste » a été conçu dans le cadre de l’atelier de réflexion « Enjeux Éthiques de l’Espace » de Space’ibles, l’observatoire français de prospective spatiale, initiative du CNES (liens des 5 textes en fins de cet article).
Cette collection de textes exploratoires est l’une des productions de plusieurs mois de travail au sein de Space’ibles. Ils incitent à la spéculation, ils visent à faire réagir. Nota Bene : cette collection de textes n’exprime pas une vision stratégique établie par le CNES. |
Ce texte et les 4 autres serviront lors de l’atelier de prospective design public (inscription en ligne accessible dans les jours qui viennent) qui se déroulera le 09/10/2021, à la bibliothèque de la Cité des sciences et de l’industrie, de 09:45 à 11:45, dans le cadre des Mondes Anticipés, festival nomade de prospective et d’anticipation. Le dialogue est d’ors et déjà ouvert via les commentaires de ces cinq articles.
Luxembourg, le 10/06/2041
Faut-il appliquer des règles éthiques à l’exploitation des corps célestes ?
Le magazine Somme d’avenirs revient sur l’annonce tonitruante faite par
NESS (New Eden Space Society), le 13 mai dernier.
Depuis une quinzaine d’années, nous avons assisté à une accélération sans précédent des activités spatiales avec l’action conjuguée des États et du marché autour de la Terre, mais aussi sur la Lune et très bientôt sur Mars. C’est en 2021 – l’année où on célébra le 60e anniversaire du premier vol spatial humain – que cette dynamique fut engagée. Des décisions, qui sont déjà étudiées par les historiens, furent prises en séquences très rapides. Rappelez-vous du rapprochement entre la Chine et la Russie, qui constitue aujourd’hui le « bloc spatial de l’Est » puis la sélection inattendue mais logique de SpaceX par la Nasa pour retourner ses astronautes sur la Lune. À l’époque, personne n’avait imaginé ce qui allait suivre, c’est-à-dire un second âge d’or de l’astronautique, une période qui se poursuit et qui nous amène aujourd’hui au seuil des terres du ciel.
Dans les années 2020, tout est allé très vite. Une dynamique de transformation sensible des activités spatiales était déjà amorcée avec ce qu’on appelait à l’époque le New Space. Les origines des lanceurs réutilisables et l’émergence des grands « réseaux spatiaux d’applications » pour relier et guider les hommes, mais aussi pour observer notre planète étaient déjà en œuvre. On les nomme toujours constellations. Mais cela était transparent pour les utilisateurs quotidiens du cosmos. Des évolutions moins fondamentales pour la vie de tous les jours, mais sur lesquelles l’homme de la rue pouvait facilement se projeter, furent incontestablement la multiplication dès 2021 des vols spatiaux habités entièrement privés et bien sûr le retour sur la Lune un peu plus tard.
La multiplication des passagers commerciaux dans des vaisseaux spatiaux fut d’abord réalisée par des vaisseaux orbitaux, mais ils demeuraient toujours des « exceptions ». En revanche, les vols suborbitaux américains et chinois ont transporté en quelques années des milliers de passagers. Une part importante de ces « astronautes d’un jour » a favorisé contre toute attente l’émergence de la ligue écologiste New Eden Space Society (Ness) qui prône toujours l’émigration massive de l’Humanité dans l’espace pour « dépolluer définitivement la Terre » afin qu’elle redevienne l’éden qu’elle avait toujours été jusqu’à la Révolution industrielle. Et comme la fin justifie les moyens, Ness a sensiblement favorisé l’essor du transport spatial réutilisable et fréquent, parfois en contradiction avec certains objectifs écologiques de cette organisation puissante et riche. Même si l’État américain au travers de la Nasa et du Pentagone guident encore les activités spatiales régaliennes, de souveraineté et les missions « frontières », il faut reconnaître que l’association des milliardaires pour lancer des fusées et les remplir est une force perturbatrice. Autrefois sous la responsabilité des seuls états, l’accès et l’utilisation de l’espace ont gagné aujourd’hui en efficacité et en rentabilité avec le secteur privé. Ils sont devenus incontournables et nous permettent en 2036 d’accéder de plus en plus facilement à l’espace. Qui s’en plaindra ?…
Depuis 15 ans, cette évolution des activités spatiales était encouragée et même souhaitée. Mais depuis qu’elles se développent sur la Lune, elles font apparaître de plus en plus de dysfonctionnements entre les acteurs étatiques, qui soutiennent surtout les activités scientifiques et militaires, et le secteur privé avide de rendements importants et immédiats. Ainsi, mardi dernier, le russe Roscomos et l’Agence spatiale européenne se sont vivement opposés à l’annonce de Ness d’établir une zone d’extraction minière (la première du genre sur la Lune) dans la mer de Moscou à proximité immédiate du grand radiotélescope Tsiolkovsky. Installée il y a seulement deux ans par un équipage russo-européen transporté par un véhicule chinois, cette installation unique au monde écoute l’Univers depuis la face cachée de la Lune qui la protège de la « pollution » radioélectrique de la Terre. Le projet de Ness réduirait sensiblement l’intérêt scientifique de cette position unique de Tsiolkovsky. Même si Ness a affirmé hier à Somme d’avenirs qu’il cesserait l’extraction des matériaux pendant la nuit lunaire, les fonctionnaires européens et russes ont porté l’affaire à l’Onu pour interdire cette activité commerciale sur la Lune. Cette action est inattendue et il n’est pas certain qu’elle soit suivie d’effet, car Moscou, Washington et Pékin soutiennent depuis des années une règlementation très permissive pour une utilisation commerciale très large de l’astre des nuits. Les juristes européens ont pris en charge l’affaire et vont tenter, avec l’appui de l’Union Européenne, de bloquer les velléités commerciales de Ness et des autres prétendants à l’exploitation économique de la Lune. D’aucuns estiment qu’il s’agit d’un combat d’arrière garde qui menacerait, en réalité, les intérêts des puissances spatiales y compris de l’Europe. En effet, la société Inno Lab, qui a son siège au Luxembourg, multiplie ses projets et ses annonces pour développer la zone économique Terre-Lune, principalement basée sur les ressources géologiques sélènes.
Somme d’avenirs souhaite connaître votre avis sur l’exploitation de la Lune par les États ou par des sociétés commerciales. A la surface d’un corps céleste, la science doit-elle céder le pas aux activités lucratives ? Pour ce faire, nous avons élaboré un questionnaire qui nous permettra de mieux appréhender l’avis du public sur cette question fondamentale pour l’avenir des activités humaines dans l’espace. Alors l’espace privé jusqu’où ?
Comments are closed.