Carte blanche à Guillaume Loublier : Il vaut mieux faire grandir nos échanges que nos fantômes | Festival des Mondes Anticipés (saison 2)

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Carte blanche à Guillaume Loublier :  Il vaut mieux faire  grandir nos échanges  que nos fantômes | Festival des Mondes Anticipés (saison 2)

On ne peut pas dire qu’il ne se passe rien sur le plan technologique puisque des choses, il s’en passe et que ça n’est pas rien ! Prothèses bioniques, humain augmenté, transhumanisme, intelligence artificielle, manipulation génétique etc. Comme le dit Yves Gimbert, directeur de recherche CNRS,  « L’humain n’a jamais eu autant de moyens à sa disposition pour influencer son propre devenir ». Mais faut-il en avoir peur ?

La peur est une émotion naturelle qui pointe son nez lorsqu’il y a un danger. Je traverse la route, soudainement un crissement de pneus se fait entendre, j’ai peur. Soit, je suis sidéré, immobile, figé par l’émotion, soit, je fais un pas de côté pour me construire un avenir immédiat sûr . Quoiqu’il en soit, la peur est utile. Elle est un signal qui indique que l’on doit apprendre ou vérifier quelque chose. Elle n’est pas à écarter d’un revers de manche.

Si on a peur d’un avenir ultra-technologisé, ça ne veut pas dire qu’on est une poule mouillée ou un « vieux con ». Ça veut peut-être dire qu’on voit disparaitre certaines choses auxquelles on tient. Si, à l’inverse, ce futur nous attire ardemment, ça ne veut pas forcément dire qu’on est un gros méchant inconscient et individualiste. Ça signifie probablement qu’on souhaite voir se réaliser certaines promesses auxquelles on croit.

Alors, faut-il avoir peur des mutations annoncées ? À vrai dire, aujourd’hui, j’en sais rien. Le citoyen que j’étais il y a six ans crierait : Oui bien sûr ! Pour plein de raisons et en premier parce qu’étant sur une planète aux ressources limitées au bord de l’épuisement, avoir peur de la course à l’innovation serait le signe rassurant qu’il existe encore un peu de bon sens face à l’irresponsabilité de celles et ceux qui foncent faisant fi des réalités écologiques pourtant immanquables. Mais l’artiste que je suis devenu qui, entre temps, a écrit et joue un spectacle sur le sujet, a mené plus de quinze interviews auprès de citoyens français aux opinions différentes et qui propose aujourd’hui des actions de médiations culturelles auprès de lycéens répondrait qu’il y a probablement autant de désirs et de peurs que de citoyens français et que l’une des priorités, aujourd’hui, est de les exprimer.

L’homme que j’étais il y a quelques années s’est servi de sa peur pour s’intéresser à ces sujets et l’artiste que je suis devenu, refusant d’y rester blotti et de la cristalliser en une pseudo opinion, en a fait une simple étape pour s’ouvrir à la pluralité des visions sur le sujet. Sur ce chemin, je trouve ce qui sera le fer de lance de mon travail actuel : questionner non pas seulement la peur du transhumanisme, mais la peur et l’importance du débat citoyen sur ces questions.

L’avenir, nul ne sait avec exactitude ce qu’il sera, mais on sait qui il est : c’est nous. Ne laissons pas aux seuls experts le soin de questionner tout cela ! Comme dit Carl Sagan « La science est une chose trop importante pour être laissée entre les mains des seuls savants ». Ayons le courage d’admettre que ça nous concerne directement ! Que chacun se saisisse dès maintenant des enjeux de notre siècle et les confronte à ses valeurs, ses désirs comme à ses peurs. Aussi, réconcilions-nous avec la notion de conflit. Nos idées, aussi pertinentes soient-elles, me semblent inutiles si elles ne circulent pas. Prenons un temps pour sortir de nos communautés et faire l’épreuve de la contradiction. Grâce à l’autre, nous pouvons découvrir des dimensions d’une réalité que l’on aurait pourtant juré connaitre des pieds à la tête. Créons des rendez-vous qui permettent ces échanges ! Il existe et existera des conférences, des films documentaires et des exposition publiques qui tentent de nous éclairer sur ces sujets complexes. Mais ces expériences me donnent toujours trois sensations.

D’abord, j’ai l’impression que le transhumanisme existe le temps qu’on lui permet d’exister et qu’une fois la conférence terminée ou la porte du musée franchie, le débat disparait comme on ferme une carte surprise et que la musique s’arrête. Or, une connexion internet et un peu de curiosité suffisent pour être au courant des dernières innovations et applications technologiques et se convaincre que la vie du transhumanisme ne dépend pas des manifestations culturelles qu’on organise.

Ensuite, j’ai l’impression que l’expérience qu’on en fait dépend de la forme qu’on lui donne. Si je ne fais l’expérience de ce sujet de société qu’au travers de conférences, films et expositions, je suis condamné à n’avoir que la position assignée par l’évènement, à savoir celle de spectateur recevant des informations que je traite souvent avec mes émotions faute de temps nécessaire pour faire émerger un début d’opinion personnelle. Même si je tente chaque fois de m’arracher à cette passivité cette expérience me semble limitée ou du moins insuffisante face à la réalité concrète et à ses enjeux.

Enfin, j’ai la sensation d’un « sujet dont on discute entre spécialistes ». Discuter d’un sujet me donne l’impression d’une réalité qui n’est pas encore effective. Comme si nous en étions à l’étape de la discussion et que le transhumanisme attendait notre consentement pour apparaitre. Or, le transhumanisme n’est pas seulement une idée dont on débat entre spécialistes. Il fait l’objet de recherches actives dans les laboratoires. C’est une réalité qui n’en est, d’ailleurs, pas au stade de sa conception mais à celui de son développement. Face à cela, je suis traversé par une intuition qui a l’intensité d’une conviction : Tant qu’il n’existera que des conférences, des films et des expositions, le transhumanisme restera un objet de réflexion à destination d’un public avisé qui en fera une expérience intellectuelle. Il importe de créer d’autres rendez-vous qui attestent du transhumanisme en tant que réalité sociale nécessitant l’implication citoyenne du plus grand nombre.

Pour reprendre le « faut-il avoir peur de » de l’intitulé de la question, je dirais qu’il faut avoir peur de tout ce qui tend à simplifier la complexité de ces sujets. Il faut avoir peur des raccourcis et simplisme de pensée, des jugements hâtifs, des certitudes instantanées, des réseaux sociaux qui n’alimentent que nos propres croyances, de certaines figures médiatiques qui cultivent la culpabilité du retard technologique français pour satisfaire leurs intérêts personnels, de tout ce qui empêche le débat citoyen éclairé et éclairant, qui court-circuite la réflexion, ramollit l’effort de la compréhension de l’autre, de tout ce qui fragilise un des ciment de notre société : la tolérance. Il faut avoir peur de ne pas exprimer sa peur. Une émotion réprimée est un terrain fertile pour les fantômes. Et il vaut mieux faire grandir nos échanges que nos fantômes.


Crédit image : Unsplash | Ambreen Hasan

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