CARTE 3 : Sur le chemin de la raison

Jean-Jacques Vincensini 1

Question

Pensez-vous que l’idée selon laquelle nous devrions nous ennuyer et faire l’expérience lassante de notre condition est un cliché, un stéréotype moralisateur ?

 

  1. Votre réponse est « oui ».

    Vous avez gagné une aide à la compréhension et, ainsi mieux informé, vous pouvez suivre avec tranquillité le chemin que vous venez de prendre. 

    • Aide à la compréhension de la notion de « cliché » ou de « stéréotype » :

    Les clichés et les stéréotypes sont les prêt-à-porter de la pensée.
    Comme ces vêtements vendus comme produits finis et non pas réalisées sur mesure, le stereos (solide, dur) typos (type) livre un produit cognitif déjà abouti et figé qui laisse peu (ou aucune) place à la pensée personnelle, un produit standardisé qui permet la production en série. 

    Et, comme en imprimerie, par ce qu’on appelle le « procédé de stéréotypie », on imprime à l’identique textes, images, affirmations et idées à l’infini, hors de tout contrôle spécifique, de toute maîtrise individuelle de ce que l’on redit.

    Inutile de réfléchir, de faire fonctionner vos neurones et de vous livrer au doute ; comme une pizza standard (pas celle de Da Graziella !) dans sa boite en carton standard, le stéréotype vous est livré tout prêt à la consommation standardisée :
        – Toutes les blondes sont sottes ;
        – Les Portugais sont soit peintres soit carreleurs ;
        – Le confinement est un temps de lassitude et d’ennui.

    Et, si vous ne prenez pas la bonne distance critique, vous allez maintenant rentrer dans la boucle et répéter à l’infini les clichés, parfois banals parfois effrayants de racisme et de rejet, figés dans leur béton solide et in-discutable.

    Les réseaux sociaux sont faits pour ça ! Genre : Greta Thunberg est responsable de la fabrication du Covid 19 pour diminuer la pollution et punir les boomers qui sont les principaux responsables de la destruction de la planète !

    Ca y est vous êtes mieux éclairé(s) ?

     

  2. Vous avez répondu « non ».

Vous êtes tombé dans le chausse-trappe du « stéréotype-prêt à porter » !

Pour en sortir, il va falloir tout d’abord vous cultiver en découvrant une carte aide d’un nouveau type, ensuite, effectuer le gage suivant : résumer en deux phrases l’aide qui suit !! 

  • Aide historique :

Vous allez voir que l’équation stéréotypée (« propagée » par R.-P. Droit) « confinement = ennui » renvoie à de vieux débats, à des paradoxes fameux, à des contrariétés historiquement notoires :

Otium (oiseveté) vs negotium

Vice et vertu de l’otium-oisiveté

Des origines au Ier siècle de notre ère, le mot otium n’a cessé de se charger de sens. 

Otium, dit-on, a suivi l’évolution culturelle de la nation romaine longtemps hostile à la vie contemplative et à la philosophie pure.

« Du coup », Otium est devenu un slogan politique désignant (notamment à l’époque de Cicéron) la tranquillité des existences privées, l’apolitisme serein : il est, dans son sens le plus romain, éloignement de la politique, détente passagère et studieuse, négation et récompense du négotium (le « négoce »).  

Dans cette opposition au negotium, l’otium est lui-même marqué par une ambiguïté paradoxale, celle qui marquera également l’« oisiveté » (dont il est l’étymologie),   : 

– Dans un sens positif, l’otium se distingue du negotium, des activités triviales des marchands et de celles des vulgaires commerçants. La pensée chrétienne et sa valorisation de la vie contemplative s’en souvient : l’oisiveté permet aux moines de maintenir l’autonomie spirituelle, vis-à-vis du corps (par l’ascèse) et vis-à-vis de la société (par le refus des ‘affaires séculières).   

– Dans un sens négatif, l’oisiveté est un danger, synonyme de paresse, de découragement et de dégoût de l’existence. 

C’est que, « Mère de tous les vices » on le sait bien !, l’oisiveté paresseuse peut dériver vers l’hédonisme et les allanguissants plaisirs de la chair (« Sans oisiveté, pas de flèches d’Eros » dit Ovide ! Des « divertissements », comme dirait Pascal, immoraux et dégradants.

Bref, si la république doit s’ouvrir aux meilleurs, pas à ceux qui se livrent au negotium, à l’inverse elle craint que le culte de l’otium ne constitue pour les pires d’entre des romains « le paravent de la mollesse ». Nécessité donc d’une vie active pondérée, équilibrée par des moments de détente spirituelle ou intellectuelle.

Rien d’étonnant donc à lire dans Le Livre du corps de policie de Christine de Pizan (morte en 1430) qu’il est loisible que « le bon prince après avoir bien travaillé se délasse et trouve une certaine récréation. » Comme tout homme chargé de grandes et notables occupations, le Prince doit parfois cesser de travailler et « reposer en oisiveté. » 

= Éloge de la contemplation studieuse « qui est sans vice ».

De l’autre, continue Christine, on trouve les « oyseulx », ceux qui ne font rien ou se complaisent dans les plaisirs. Ils doivent être moralement condamnés.

= Critique de l’otium-oisiveté « par laquelle vertu s’évanouit »,

 

 

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