Deux ou trois choses que « MORGANE », le film de Luke Scott, nous dit sur demain…« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !
Réalisation : Luke Scott
Scénario : Seth W. Owen
Distribution : Kate Mara, Anya Taylor-Joy, Toby Jones, Rose Leslie, Boyd Holbrook, Michelle Yeoh
Durée : 92 minutes
Sortie : 2016
Le film Morgane se situe à mi-chemin entre ce qu’il se passe réellement dans les laboratoires de notre présent et un possible avenir comme il est décrit dans le film Blade Runner.
Pour la petite histoire, le réalisateur de Morgane, Luke Scott, est le fils de Ridley Scott, le réalisateur de Blade Runner, film sorti en 1982 et devenu culte, dont une suite est annoncée pour 2017.
Autre petit rappel : dans Blade Runner, un chasseur de prime, Rick Deckard a la mission d’éliminer cinq réplicants, cinq êtres d’apparence totalement humaine mais synthétiques et tous génétiquement modifiés pour accomplir des tâches spécifiques : combattant, travailleur de force, jouet sexuel… Dans l’avenir de Blade Runner, les réplicants sont des objets bio-technologiques, produits en grands nombres mais interdits de séjour sur Terre, pour protéger les hommes de cette concurrence. Les réplicants participent à la conquête spatiale. Afin de bien garder la différence entre les humains et ces êtres issus du génie génétique, on ne parle pas de mise à mort des réplicants mais de « retrait », comme on le fait d’un objet défectueux que l’on retire de la circulation.
Loin des réplicants de la fiction, les chercheurs de notre présent en sont encore à comprendre comment on passe de l’alphabet de la vie correctement assemblé mais qui demeure inerte… au vivant ! Le vivant, ce truc incompréhensible qui pourtant sait se mouvoir, se nourrir, se reproduire. À partir des quatre molécules de base — adénine, cytosine, guanine et thymine — ces molécules qui codent l’ADN de chaque forme de vie sur notre bonne vieille planète Terre, les généticiens commencent alors par essayer de copier les formes de vie les plus simples : les bactéries. A ce jour, on en serait à la troisième génération d’une bactérie appelée Mycoplasma laboratorium, chaque génération portant en elle une version de l’ADN qui l’éloigne toujours plus de la souche biologique originelle : à chaque version, les généticiens réduisent au maximum la part aléatoire du code génétique. L’ADN est y réécrit, raffiné et optimisé par la main de l’homme. On parle de biologie de synthèse.
Dans le film Morgane, ce que les chercheurs et généticiens de notre présent tentent donc de réaliser est abouti, fonctionnel : Morgane, ce personnage qui donne son nom au film, est un individu artificiel, un être de synthèse, un entité biologique d’apparence humaine mais dont l’ensemble du code génétique est issu d’une « écriture » souhaitée par les généticiens et non pas issue du lent aboutissement de milliards d’années d’évolution. Dans le cas deMorgane, on en est à la version 3 de la série L9, comme les réplicants de Blade Runner en sont à la version 6 de la série Nexus.
Même si le futur décrit dans le film Morgane ne semble pas si éloigné du nôtre – il suffit de regarder les voitures : ce sont celles qui roulent dans nos rues – un chemin immense a néanmoins été parcouru depuis notre présent. En effet, le film raconte un stade très avancé de cette technologie de la biologie de synthèse : on en est à l’évaluation psychologique de l’être synthétique et amélioré. Mais au delà de la question de la stabilité comportementale et émotionnelle de cet être qui atteint sa taille adulte en 4 fois moins de temps qu’un être humain, c’est bien de sa nature réelle dont il est en question : chose ou être vivant, conscient de sa propre existence ?
Sous les traits d’une jeune fille à peine sortie de l’adolescence, Morgane se définit comme une forme vie nouvelle, pas supérieure à la vie humaine, juste… différente. D’autres protagonistes du film évoquent leur difficulté à nommer cette chose… exercice d’autant plus difficile que notre langue, le français, n’est pas pourvu du genre neutre comme l’anglais. Ainsi, à plusieurs moments du film, dans sa version anglophone, les personnages jouent sur le « she », elle, et le « it », pronom neutre, pour parler de Morgane. En contre-point — elle ? — Morgane émet plusieurs fois le souhait de juste “être,” vivre par et pour elle-même… comme peut le souhaiter n’importe quel être conscient.
Il y a un an, un autre film posait la question de la valeur de la vie artificielle. Si Morgane est faite d’un substrat biologique à base de carbone… En 2015, Ex Machina racontait de manière fort similaire à la trame du film Morgane, l’évaluation d’un être artificiel conçu sur une base de… silicium : Ava, un robot d’apparence humaine et féminine, ce que certains appellent une gynoïde. Comme pour Morgane, les humains s’interrogent donc sur la nature de la gynoïde… Comme Morgane, le robot pensant a des aspirations de liberté et est prête à user de la violence la plus extrême pour défendre son intégrité ! Des revendications et un instinct de survie que ne renieraient pas les réplicants de Blade Runner…
Se défendre : ajoutons cet attribut à la liste de ce qui peut définir le vivant : se mouvoir, se nourrir, se reproduire… se défendre !
On l’a dit, l’action de Morgane se déroule dans un futur pas si éloigné de notre temps… Cependant, une chose est sûre : dès à présent et, on l’a dit, comme le firent plusieurs autres films, ce film-là nous interroge sur notre propre nature humaine. A un moment de l’histoire de l’humanité où le foisonnement des branches dans l’arbre des possibles fait apparaître des avenirs étonnants et qui pourraient être atteint sous peu — intelligence artificielle, biologie de synthèse, robotique humanoïde — notre humanité pourrait bien se trouver pour la première fois en concurrence avec de nouvelles formes d’intelligence, sans pour autant faire appel à E.T… Car, ces technologies posent la question du véhicule nécessaire à la conscience humaine : celle-ci a-t’elle exclusivement besoin du seul support biologique issue de l’évolution ? A moins que la conscience — sera-t-elle encore humaine — ne puisse être portée sur un support informatique, portée par une biologie nettoyée, apurée, maîtrisée par la génétique…
Cependant et pour finir, il faut encore citer une différence entre la vie humaine et l’intelligence telles que nous les connaissons et ces futures formes d’intelligence. C’est un dernier attribut qui vient compléter la liste de ce qui définit le vivant : se mouvoir, se nourrir, se reproduire, se défendre et… mourir. Ce que, hélas, expérimentent aussi bien Roy Batty, le dernier des réplicants à être retiré dans Blade Runner, que tout être vivant qu’il soit naturel ou artificiel…
Reste à savoir si “mourir” est indissociable de l’humanité… Certains en font un élément essentiel, d’autres voudraient bien s’en débarrasser, de cette mort… Pourtant, ne dit-on pas que ce qui fait l’homme, c’est la connaissance qu’il a de sa propre fin ? Alors, vers quoi évoluerait l’humanité si on retirait la mort de l’équation ? Nous mettrions-nous, alors, à rêver de moutons électriques ou de synthèse ?
Toutes ces analyses sont également rassemblées sur le site www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon et l’œil des auteurs !
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