Ce que THE EXPANSE, parlant de demain, nous dit d’aujourd’hui | Space’ibles Days 2024

Olivier Parent 0
Ce que THE EXPANSE, parlant de demain, nous dit d’aujourd’hui | Space’ibles Days 2024

Deux ou trois choses que « The Expanse », série crée paMark Fergus et Hawk Ostby, nous dit de notre présent !

« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !

Avec :


Une production le Comptoir Prospectiviste / FuturHebdo
pour Space’ibles.fr

Les analyses prospectives des films sur le site de Space’ibles,
l’observatoire de prospective spatiale du CNES


Création : Mark Fergus et Hawk Ostby
D’après l’œuvre de :  James S. A. Corey
Acteurs principaux :
Thomas Jane, Steven Strait, Shohreh Aghdashloo, Dominique Tipper, Cas Anvar, Wes Chatham
Production/Droits à l’image/Distribution : Syfy (saisons 1 à 3), Prime Video (saisons 4 à 6), Penguin in a Parka, SeanDanielCo (2015–18), Alcon Entertainment, Just So, Hivemind, Amazon Studios
Saisons : 6 soit 62 épisodes
Années : 2015 à 2022


Chronique d’analyse prospectiviste conçue en collaboration avec Space’ibles, l’Observatoire Français de Prospective Spatiale, initiative du CNES.


The Expanse est une série télévisée de science-fiction spatiale s’étendant sur six saisons et diffusée à compter de 2015. A l’origine, The Expanse est une série de romans de James S. A. Corey. 

Dès la 1ère saison, The Expanse se plonge avec délice dans les standards du Space Opera, avec ses gigantesques stations spatiales, ses vaisseaux cargos, ses batailles navales de vaisseaux militaires ou encore ses combats arme au poing dans le style western. Elle repose aussi sur des trames d’enquête policière ou de complot politique. Mais que l’on parle des romans ou de leur adaptation télévisuelle, l’originalité et le succès de la série The Expanse sont probablement ailleurs ! 

Expansion humaine dans l’Espace

La série se déroule dans un futur, le XXIVe siècle, dans lequel l’Humanité s’est répandue dans tout le Système Solaire ; là, trois territoires concentrent les activités, les populations et cristallisent finalement les intérêts. 

Commençons par la Terre, point d’origine de l’humanité. Elle en est restée le foyer principal avec une population de 31 milliards d’humains, soit un peu plus de quatre fois la population actuelle. Ce nombre à peine imaginable depuis notre présent semble néanmoins indiquer que, dans cet avenir, un certain nombre des enjeux – environnementaux et technologiques – ont été résolus. 

Les images de la Terre montrent à la fois un urbanisme rayonnant et une nature restaurée et majestueuse. Elles contrastent singulièrement avec les ambiances souterraines et spatiales dans lesquelles se dérouleront le plus souvent les actions des protagonistes de la série. Il n’empêche, la situation de la Terre demeure fragile : ayant en charge la destinée d’une population nombreuse, la Terre est toujours en quête de ressources, d’où l’importance de l’exploitation minière spatiale qui apparaît comme la motivation principale de l’expansion humaine dans le Système solaire.

Vient ensuite la planète Mars, indépendante de la Terre depuis environ 150 ans, au moment où se déroule la série. La planète rouge s’est considérablement peuplée depuis l’époque de ses premières colonies souterraines. Sa population se compterait aussi en milliards. Tout comme la Terre, elle compte bien prélever dans le Système solaire les ressources qui sont nécessaires à son développement… d’autant plus que les martiens espèrent tous vivre, un jour, sur une planète moins hostile, terra-formée et devenue verte. 

Le dernier territoire à considérer est la Ceinture d’astéroïdes. Cette zone, située entre Mars et Jupiter, est parfois appelée « Ceinture principale » pour la distinguer de la ceinture de Kuiper et du nuage de Oort, beaucoup plus éloignés dans le système solaire. 

La distance de la ceinture d’astéroïdes au soleil varie entre 1,7 et 4,5 unités astronomiques, une unité représentant environ 150 millions de kilomètres, soit la distance de la Terre au Soleil. On y trouve des objets de toutes tailles, de quelques mètres à plusieurs centaines de kilomètres de diamètre. Ces astéroïdes sont des vestiges de la formation du Système solaire, il y a 4,5 milliards d’années. Malgré l’étendue de la Ceinture d’astéroïdes — sa circonférence est longue d’une vingtaine d’unités astronomiques — la masse totale de ces objets n’excéderait pas 4 % de la masse de la Lune ! Le plus gros corps de la Ceinture est Cérès, un astéroïde de 950 kilomètres de diamètre, parfois considéré comme une « planète naine ». A lui seul, Cérès représente un tiers de la masse totale de la Ceinture. Viennent ensuite ​​Vesta, Pallas et Hygée, avec des diamètres s’étalant de 400 à 500 km. Dernière précision : petit ou gros, chacun des objets qui composent cette ceinture est séparé des autres d’au moins un million de kilomètres, soit trois fois la distance Terre-Lune ! On est bien loin des champs d’astéroïdes à la Star Wars !

Dans The Expanse, la Ceinture est donc davantage une série d’îlots d’humanité qu’un territoire. Ces îlots sont consacrés à l’exploitation des ressources minières que les astéroïdes de la Ceinture recèleraient. Le conditionnel est ici nécessaire : si, dans notre réalité, les preuves indirectes s’accumulent, personne n’est encore allé constater sur place les stocks de ces ressources minières (fer et nickel par exemple), leur qualité ou leur exploitabilité.

A quelques réserves près (dont les coûts d’innovation et de développement à envisager sur des décennies, voire sur des siècles), les gros astéroïdes sont donc devenus dans la série les ports d’attache de toute une industrie minière au service de la Terre et de Mars. Dans la série, le destin des mineurs de la Ceinture, nichés sur des astéroïdes mal ravitaillés et rationnés en eau, n’est pas sans rappeler notre histoire minière, avec ses rigueurs, ses risques et ses révoltes. On comprend mieux, dans The Expanse, les tensions entre la Terre, Mars et la Ceinture… 

Géopolitique du Système solaire colonisé

En effet, la très grande originalité de The Expanse est de proposer une lecture géopolitique de cette présence humaine dans l’Espace, au-delà des poncifs du genre comme l’habituelle thématique de l’indépendance de la Lune. Dans la série, « Luna » et la Terre sont d’ailleurs une seule et même entité politique ! Unifiée politiquement (comment cela a-t-il été possible, la série ne fournit aucun indice), la Terre entière est dirigée par une ONU devenue gouvernement planétaire dont les apparentes dérives autoritaires et les menées complotistes ont de quoi surprendre.

Cette même Terre se verrait bien demeurer la référence et le centre de l’Humanité dans un Système solaire dont les activités sont organisées à son profit. Mais cette perspective a volé en éclats avec l’indépendance de Mars et ne cesse de s’éloigner encore davantage au moment où se déroule l’action de la série The Expanse. Dans un contexte tendu de guerre froide qui convoque tous les canons du genre – course aux armements, surveillance et espionnage à tous les coins de rue, entreprises de déstabilisation -, la série livre le tableau d’une Humanité au bord d’une guerre spatiale pour les ressources.

Au centre de la rivalité entre la Terre et Mars, on trouve les colonies humaines de la Ceinture d’astéroïdes. Elles n’ont pas le statut politique de nation, comme Mars. Elles demeurent sous la tutelle des entreprises minières terriennes et martiennes qui y exploitent divers filons. Cette pression économique est à l’origine d’aspirations indépendantistes. Elles sont une réaction à ce qui est perçu par les populations ceinturiennes comme une exploitation abusive et autoritaire menée par les planètes du système interne, la Terre et Mars. 

Mais pas la peine d’aller dans l’Espace pour comprendre ce qui se joue dans The Expanse : sur Terre, du temps des empires coloniaux, quand un territoire obtienait les moyens de sa propre subsistance, il n’avait plus intérêt à rester sous la tutelle de sa métropole d’origine. Quand ce territoire rassemblait les moyens de transformer industriellement les ressources qu’il extrayait de son sol, puis de faire commerce de ses productions, d’égal à égal avec d’autres territoires, il devenait sa propre métropole. Tous subsides exigés par la métropole historique étaient alors perçus comme des prélèvements iniques. La machine de l’indépendance s’était mise en route. Que l’on soit sur Terre ou partout ailleurs, les processus d’indépendance n’étant pas inscrits dans les statuts de la colonisation… Il faut se préparer à autant de Tea Party, en référence à l’événement déclencheur de l’indépendance américaine, dans le port de Boston : en 1776, en signe de protestation, une cargaison de thé avait été jetée par-dessus le bord d’un navire en partance pour l’Angleterre.

Revenant à The Expanse : les enjeux économiques et stratégiques sont simplement tels que l’indépendance de la Ceinture d’astéroïdes semble inenvisageable ; la Terre ne semble pas avoir tiré les leçons de son histoire… et Mars semble trop dépendre des ressources de la Ceinture pour soutenir l’indépendance de ce territoire pourtant frère par le destin. 

Homo Spatius dans The Expanse

 Au-delà des territoires, la série The Expanse, nous permet aussi de nous pencher sur le destin des individus, des humains devenus spatiaux ? Quelle vision d’une humanité devenue spatiale retenir de la série ?

Le terrien, d’abord, nous est familier et dans l’Espace, il possède l’avantage d’une force physique que lui confère sa croissance sous gravité terrestre, 1 g ; il domine les martiens et les ceinturiens sur ce plan. Il jouit aussi d’un certain ascendant lié à son statut de natif de la planète origine ou encore à son expérience du paradis terrestre, mais non sans reproches quant à sa gestion de la planète !  

Le martien est un humain habitué à la vie souterraine ou sous dômes. Il a grandi sous une gravité équivalente à un tiers de celle de la planète Terre. Il est habitué à des conditions de vie rudes ou frugales, aux combinaisons spatiales et aux intérieurs des vaisseaux de transport et d’exploration. La société martienne est structurée par des projets collectifs sur le long terme comme la terraformation et il semble en résulter un tempérament martien moins individualiste et impulsif, plus discipliné que celui du terrien.

Pendant ce temps, dans la Ceinture d’astéroïdes, par exemple sur Cérès, le laborieux Ceinturien vit dans des villes minières souterraines, peu avenantes et vraisemblablement sous faible pesanteur artificielle. Aucun chiffre n’est annoncé, mais sans doute est-elle au maximum celle sur Mars, environ un tiers de g, la gravité terrestre, et plus probablement celle de la Lune, soit un sixième de g. Difficile de se faire une idée. En tout cas, à deux reprises dans la série, l’un des héros se prend à admirer, sur l’astéroïde Cérès, le vol d’un moineau en faible gravité : entre deux ou trois battements d’ailes, l’oiseau semble flotter déraisonnablement…

Qu’on se situe dans la fiction de The Expanse ou dans la réalité, les questions liées à la pesanteur ont et auront des conséquences biologiques très importantes. En effet, un organisme vivant ne se développe pas de la même manière quand il est soumis à un g, un tiers ou un sixième de g. Ces contraintes pourraient même avoir des conséquences d’une génération à une autre, c’est ce que nous dit l’épigénétique, cette branche de la génétique qui étudie l’impact de l’environnement sur l’hérédité. Dans The Expanse, les conditions de vie dans la Ceinture engagent clairement les ceinturiens, un peu plus grands, mais moins robustes, dans des processus de différenciation biologique avec leurs frères terriens et martiens, sur le long terme. 

On imagine bien qu’une personne ayant grandi dans une gravité d’un tiers de g, par exemple un martien, sera mal à l’aise à la surface de la Terre où il subira une pesanteur 3 fois plus importante que celle dans laquelle il a grandi. Imaginez-vous peser près entre 200 et 250 kilogrammes ! Au cours d’un des épisodes de la série, on apprend d’ailleurs que la « torture gravitationnelle » est interdite. En termes plus clairs, il est interdit de laisser un individu né sous faible gravité souffrir intentionnellement dans une pesanteur plus forte que la sienne. Des assistances doivent lui être fournies ou bien il doit être emmené dans un environnement adéquat. Depuis la Terre, ce seront les orbites terrestres ou la Lune.

Ces questions de gravité réduite nous ramènent dans la Ceinture d’astéroïdes. Posons-nous sur Cérès et essayons de voir quelles conditions de vie réelles ce gros astéroïde a à offrir. Cérès est un corps sphérique d’un peu plus de 900 kilomètres de diamètre. A sa surface, la pesanteur est estimée à 3 % de celle de la Terre. Là, tombant d’une table, un objet mettrait 2,6 secondes pour atteindre le sol, ou bien encore, un terrien, sautant sur place, s’élèverait à plus de quinze mètres. À la suite d’un tel saut, il lui faudrait attendre 10 secondes avant de revenir au sol. Dans ces conditions, les activités humaines courantes seraient quasiment impossibles. 

Si, comme dans The Expanse, on veut s’installer sur Cérès, il faut donc trouver le moyen d’y augmenter la pesanteur. Une solution : transformer l’astéroïde en cylindre O’Neill : une fois la vitesse de rotation adaptée, on pourrait y bâtir une ville creusée dans la roche. Comme dans un cylindre O’Neill, on marcherait les pieds en direction de l’extérieur et la tête vers l’axe de rotation de l’astéroïde, la force centrifuge plaquant les objets et les humains contre la face intérieure du cylindre. 

Aujourd’hui, la vitesse de rotation naturelle de Cérès est d’un tour toutes les 9 heures et 4,5 minutes, il faudrait donc multiplier cette vitesse par 14,5… Ceci étant énoncé sans tenir compte des évidentes contraintes que la structure même de Cérès subirait du fait de cette nouvelle vitesse de rotation, structure dont on ignore si la nature posséderait la cohésion nécessaire afin de  permettre autant d’opérations. 

Conclusion :

L’histoire que nous livre The Expanse, avec ces vies et ces destinées qui se croisent, qui s’entrechoquent et se ramifient à l’infini, est une histoire universelle et bien connue, c’est une histoire faite de crises géopolitiques, luttes pour l’indépendance, pour les ressources, d’exploitation humaine,  de terrorisme, de courses aux technologies et d’interrogations sur le progrès… si ce n’est que les thématiques qui sont ici transposées à l’échelle du Système solaire.  

Ce que nous raconte The Expanse contient une forme d’universalité : déplacer l’humanité hors de la Terre ne la changera pas, même projetée quelques siècles dans le futur. Faisant ce constat, on est en droit de s’interroger : la série The Expanse ne ferait-elle pas preuve de manque d’inspiration pour imaginer des composantes historiques plus exotiques afin de nous écrire un futur plus brillant ? À moins que la série ne pose un regard réaliste, voire pessimiste, sur les fondements de l’identité et des ressorts de l’action humaine… en admettant qu’il existe des invariants humains, collectifs et individuels… autant de notions que le droit est censé encadrer.

Cependant, dans le domaine spatial, il faut bien admettre que le droit spatial historique reste à l’état embryonnaire, quand on considère les activités et les appétits croissants des nouveaux acteurs du spatial. Et l’histoire pourrait bien se répéter en laissant partir les plus ambitieux, économiquement parlant… Avec de très fortes chances de voir, une nouvelle fois, le droit courir après le réel et à légiférer a postériori ! On tient le pari ?

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