La science-fiction au-delà du divertissement | Transcription du TEDx PLV | Mars 2023

Olivier Parent Commentaires fermés sur La science-fiction au-delà du divertissement | Transcription du TEDx PLV | Mars 2023
La science-fiction au-delà du divertissement | Transcription du TEDx PLV | Mars 2023

 

Il me revient la responsabilité d’ouvrir le bal de ce TEDx. Et pour parler du futur, le sujet qui nous rassemble ce soir, je vais commencer par vous poser une question, à savoir : « La science-fiction ne serait-elle qu’un divertissement ? » Pour essayer de répondre à cette question, je vais vous inviter à vous tourner non pas vers l’avenir, mais vers le passé, vers les origines de la science-fiction pour essayer de comprendre ce qu’est cette expression artistique particulière.

Déjà, il faut rappeler que la science-fiction fait partie de la grande famille des récits imaginaires. Les récits imaginaires sont indissociables de la nature humaine. Les récits imaginaires sont nés il y a peut-être quelques centaines de milliers d’années, voire un demi-million d’années, peut-être plus, en fait, on n’en sait rien puisque de cette période, il ne reste rien. Tout était de l’ordre de la tradition orale. 

Il va falloir attendre l’invention de l’écriture pour que nous parviennent les traces de ces récits imaginaires. Le plus vieux récit qui nous soit parvenu, aujourd’hui, est vieux de 4500 ans. Il se nomme l’épopée de Gilgamesh, le grand homme ou le roi qui ne voulait pas mourir. Il ouvre le bal, lui aussi, d’une succession de récits qui, du fond de l’antiquité, de la préhistoire, vont nous mener jusqu’à l’époque moderne. Après Gilgamesh, vont s’enchaîner les mythologies mésopotamiennes, égyptiennes, grecques, romaines.

À la fin de l’Antiquité, on va rentrer dans la période dite moderne avec les épopées arthuriennes, l’influence chrétienne, celle des Celtes. On pourrait aussi parler du mythe du Golem, d’inspiration juive. Tous ces récits mythologiques nous racontent les relations entre l’humain et le divin, entre le spirituel et le matériel, le tout mâtiné de magie. La magie étant l’application d’une économie humaine au monde immatériel : Si je pratique tel rituel, que je prononce tel mot, fait tel geste, je suis en droit de recevoir tel retour du monde spirituel… 

Autre type de récit imaginaire qui va nous intéresser, ça n’est pas encore de la science-fiction mais ça n’est déjà plus de la mythologie, c’est la fable philosophique. La plus connue c’est Utopia de Thomas More, publiée en 1516, qui va donner le mot utopie que nous connaissons tous. Après cela, les philosophes des Lumières, vont utiliser la fable philosophique pour diffuser leurs idées. Ils avaient bien compris la puissance d’évocation que contenait le récit imaginaire quand il est bien utilisé.

Se promenant ainsi dans l’histoire de l’humanité, nous arrivons en 1816 sur les rives du lac Léman, en Suisse. Là, une jeune femme va écrire le premier récit de science-fiction. Il se nomme Frankenstein ou le Prométhée moderne. Vous le connaissez tous, au moins de nom, au travers de  films, par les bandes dessinées. Mais pourquoi  ce succès ? Parce quei c’est le premier récit de science-fiction. 

L’histoire raconte celle d’un docteur, le bon docteur Frankenstein, qui veut créer un être artificiel. Il va dans les cimetières où il vole des bouts de corps humains et il les assemble dans son laboratoire. Et puis, son œuvre achevée, il veut activer sa créature. Il se sert de la source d’énergie la plus puissante qu’il a à sa disposition à cette époque, c’est-à-dire l’électricité sous la forme de la foudre. Voilà pourquoi nous sommes entrés en science-fiction. On a remplacé les principes magiques par les principes scientifiques. On parle de biologie et de médecine, on parle de physique et d’électricité.

De plus, le coup de génie de Mary Shelley a été d’interroger son époque. Son époque, c’est celle de l’émergence de la révolution industrielle. Cette émergence, elle sent bien, Mary Shelley, qu’elle va bouleverser le quotidien des individus et des organisations humaines. Elle sent qu’il se passe des choses, avec les sciences, avec la physique, avec tout ce qu’on semble être annoncé dans ces nouvelles activités.

Tout au long du XIXᵉ siècle, de nombreux auteurs vont se saisir de l’intuition de Mary Shelley. On pourrait parler de l’enthousiaste Jules Verne. On va dire qu’il écrivait des utopies. Et là, je vous laisse retourner dans vos bibliothèques pour vous replonger dans ses œuvres. De l’autre côté de la Manche, il faut évoquer H.G. Wells, qui est britannique, donc, et qui est plutôt pessimiste. On va dire qu’il écrivait des dystopies. Vous connaissez au moins une œuvre de H.G. Wells, C’est La Guerre des Mondes, adaptée il y a quelques années par Steven Spielberg, avec Tom Cruise.

Le XIXᵉ siècle industriel, en Europe, va être mis en scène dans les expositions universelles. Elles vont s’enchaîner, pris dans l’enthousiasme technocentré de la révolution industrielle. Au début du XXᵉ siècle, certains auteurs vont commencer à interroger cet enthousiasme. On pourrait parler de Howard Phillips Lovecraft qui va réactiver la mythologie, elle qui avait été un petit peu mise de côté. Quand il convoque ces Grands Anciens, Cthulhu, Yog-Sothoth et les autres, sont-ils des dieux, sont-ils des extraterrestres ? D’ailleurs, le narrateur des histoires de Lovecraft est-il vraiment témoin de ce qu’il raconte ou est-il complètement fou ? C’est au lecteur, quelque part, de faire le tri.

Dans une autre veine, Jack London, que l’on connaît plutôt pour ses œuvres d’aventures dans le Grand Nord et d’autres maritimes, lui, va nous proposer une réflexion sociale. Il prête ces mots, dans un roman écrit en 1908, à un journaliste qui enquête sur une révolution sociale qui aurait bouleversé la planète entre 1914 et 1918. Je vous laisse goûter de la précision des dates, ce qui permet aussi d’évoquer cette Première Guerre mondiale comme la fin de l’adolescence, de la science-fiction. Elle ne s’appelle pas encore science-fiction, elle est toujours un récit imaginaire.

Au cours de l’entre-deux-guerres, vont se mettre en place des principes qui vont servir à l’épanouissement, à la maturité du récit de science-fiction. Pour évoquer ces principes, je vais vous citer quelques œuvres. La première, en 1920, c’est la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robots) du tchèque Karel Čapek. Cette pièce raconte l’émergence à la conscience de machines anthropomorphes. Et pour nommer ces machines, il va créer un mot, robot, à partir d’un vieux mot slave, rob, qui veut dire esclave. Aujourd’hui, le robot fait partie de notre vocabulaire. On ne l’interroge plus, il a été vulgarisé, par des auteurs dont Isaac Asimov. Mais il faut bien se remettre dans la perspective de sa création. Le robot a été conçu comme un esclave de la modernité.

Autre œuvre : 1927, Métropolis. C’est le premier blockbuster du cinéma de science-fiction. Dans ce film, Fritz Lang nous propose des visions hallucinées d’une ville tentaculaire, met en forme une gynoïde, un robot féminin, de manière réaliste. Il transcende les effets spéciaux imaginés par Georges Méliès, quelque 20 ou 25 ans plus tôt.

Dernier exemple, en 1936. Il s’agit de l’adaptation radiophonique de La Guerre des mondes de H.G. Wells par le metteur en scène Orson Welles. La légende veut qu’à la diffusion de cette œuvre, aux États-Unis, les auditeurs aient été pris de panique, croyant que, effectivement, leur pays était envahi par des extraterrestres. L’histoire va plutôt nous dire que c’est une légende urbaine, mais peu importe/ Même une légende urbaine nous dit que le récit, quand il est bien mis en scène, quand il est bien manipulé, permet de libérer toute la puissance évocatrice du récit imaginaire.

Donc, trois éléments que l’on va retrouver dans la science-fiction : maîtrise de concepts, de la mise en forme, de la mise en scène. 

Dernière chose pour cette période entre les deux guerres, il s’agit d’évoquer la naissance du mot science-fiction. Le mot de science-fiction a été inventé dans les années 30, aux États-Unis. Il est indissociable de la culture des pulp fictions. Les pulp fictions, ce sont des publications à très bas coût que les gens achetaient pour se divertir. Ils ont connu leur heure de gloire dans cette période de crise. Ils rassemblaient tout un ensemble de textes inspirés de ce que la science pouvait offrir de merveilleux, des planètes lointaines, des extraterrestres avec toutes les formes possibles et imaginables. Et quand le mot de science-fiction est arrivé en Europe et particulièrement en France, bizarrement, il a été mal perçu.

Et la science-fiction a été ostracisée, elle a été considérée comme une sous-culture. Ça a duré pendant 50 ans en France. Parce que… 

Il y a plusieurs raisons à cela, mais la principale, c’est que quand le mot est arrivé en France, on l’a compris comme science fictionnelle, en oubliant qu’en anglais, l’adjectif précède le déterminant. Pour un Américain, science-fiction, veut dire « récits imaginaires à base de sciences », et non pas de « science fictionnelle » comme on l’a compris en France. Cette modification a fait que, pendant un demi-siècle, en France, on ait déconsidéré la culture science-fiction.

Pourtant, durant cette période, un nombre très important d’œuvres ont été produites par des artistes tous aussi extraordinaires les uns que les autres. Je ne vais pas vous imposer une liste. Allez sur Internet ou allez consulter l’Arborescence de la science-fiction. Vous y trouverez pas loin de 500 œuvres projetées sur cette cartographie. J’aimerais juste vous citer deux œuvres qui récemment m’ont frappé. Il s’agit, d’une part, de la trilogie Le problème à trois corps, du chinois ‎Liu Cixin. Il nous raconte l’attente de l’humanité, qui, sous quatre siècles, va être envahie par des extraterrestres. l’Humanité le sait, elle attend. On fait quoi  ? On se soumet, on se défend… Il faut lire le tome 2, La forêt sombre, qui contient des pages qui sont de merveilleux essais sur l’innovation à court, moyen et long terme. L’autre œuvre, c’est un petit roman de l’Américaine Becky Chambers qui s’appelle Apprendre, si par bonheur. Là, elle aborde, elle interroge l’exploration spatiale sous sa dimension éthique.

Au XXIᵉ siècle, la science-fiction fait partie de la culture mainstream. Elle a acquis ses lettres de noblesse, même Arte se met à diffuser des films que, dans ma jeunesse, on regardait avec honte. Mais maintenant, c’est devenu à la mode. Soit ! Mais parfois, on convoque la science-fiction un peu à tort et à travers. Ainsi, en 2017, lors de l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, deux romans ont été exhumés de la poussière sous laquelle ils dormaient paisiblement sur les étagères de nos bibliothèques. Tous deux, ils ont été convoqués pour essayer de comprendre ce que représentait cet homme qui bouleversait les codes de la politique intérieure, américaine, ou internationale. Ces deux œuvres étaient 1984, de George Orwell, et La Servante Écarlate, de Margaret Atwood. Dans les deux cas, on est dans la situation d’une société autoritaire qui broie l’individu, qui interdit à l’individu d’exercer son libre arbitre. Et les femmes, dans La Servante Écarlate, sont même réduites à la seule condition de procréation.

Je ne sais pas si les lecteurs ont trouvé des enseignements dans la lecture de ces œuvres, en tout cas, cette manière d’interroger le présent au travers de la science-fiction peut être une bonne manière d’aborder l’indétermination du futur. 

Cette approche va se dégager de l’analyse ad hominem, d’une personne ou d’une situation particulière, pour s’attacher à des concepts. Et par exemple, on peut s’attacher à essayer de comprendre ce que la science-fiction pourrait nous dire du corps. Le corps, dans les années qui viennent, va être bouleversé pour maintes raisons. Pour des raisons scientifiques, éthiques. Prenons le cas des soins génétiques : ils représentent une promesse d’avenir pour des personnes condamnées à mourir, souvent, dans des délais brefs ou condamnées à vivre soumis à de grandes contraintes… Mais, on pourrait tout aussi bien  imaginer que ces soins génétiques se dégagent de la dimension de soins pour aller vers une forme de dimension, celle du confort. Imaginons un monde dans lequel on propose aux futurs parents le choix de la couleur des yeux, des cheveux, la taille, la teinte de la peau ou que sais-je encore. Peut-être des sujets moins essentiels ou plus subtils. Imaginez que cela devienne une norme. À ce moment-là, on glisse dans une politique eugénique. L’eugénisme étant la politique de contrôle du patrimoine génétique d’une espèce, de l’espèce humaine. 

Eh bien prenez un film : Bienvenue à Gattaca, d’Andrew Niccol, qui traite exactement de cette situation, la situation d’un individu qui ne correspond pas à la norme sociale eugénique. Quelle est sa liberté ? Où est sa liberté ?

Dans un autre domaine, celui des prothèses biomécaniques. Elles aussi, ce sont des promesses extraordinaires pour des personnes accidentées ou qui sont victimes de malformations congénitales. Un très bon exemple, c’est le cœur français Carmat, la prothèse biomédicale, qui va un jour battre dans des poitrines et permettre à des gens de vivre. De même manière, imaginons que dans un monde à venir, au nom du confort, on glisse vers des plans marketing, vers de la publicité qui nous incite tous ici à nous appareiller. Que se passe-t-il si, à un moment donné, je n’ai plus les moyens de payer mes prothèses ? Parce qu’il est évident, si l’État veut bien payer un cœur parce qu’on est dans l’ordre du soin, dès  qu’on va glisser dans la dimension du confort, l’État dira Niet ! Et c’est normal. 

Eh bien, cette situation de conflit entre individus et marché est traitée dans un film comme Repo Men, de Miguel Sapochnik. 

On continue, puisqu’on est lancé. On est dans un monde où on peut faire plein de choses. Imaginons un monde dans lequel la norme soit à l’augmentation, soit à la modification du corps. Je peux modifier soit mes appareils moteurs, soit mes organes internes. Donc, je peux modifier cinq pour cent, 10, 20, 40, 80 % de mon corps. Là, on peut se poser une question : à quel moment mon moi, mon identité non appareillée, change, à quelle moment ce moi appareillé devient différent du moi non-augmenté ? Je reformule ma question : Est-ce que je peux réduire ma personne, ma personnalité, au seul 1,4 kilo de matière grise que j’ai dans ma boîte crânienne ? Si c’est le cas, pas de problème, je peux remplacer tout mon corps, je ne garde que mon cerveau. À moins que ma personnalité soit une subtile relation entre cette matière grise et le reste de mon corps. On sait maintenant qu’il y a des neurones hors de la boîte crânienne, hors de la colonne vertébrale. 

Ces interrogations, on les retrouve dans un film comme Ghost in the Shell, dont la dernière version date de 2017, adaptation d’un manga qui date de 1980.

Je pourrais encore continuer à parler des intelligences artificielles qui un jour, pourraient s’adresser à nous. Entre nous, on peut se dire « cogito ergo sum ». Que fera-t-on si la machine, un jour, nous s’adressant à nous déclare « Compute ergo sum ». Je compute, je calcule, donc je suis. 

Là, on pourrait évoquer un film comme Terminator Dark Fate qui traite de la relation entre différents types de personnes pensantes. 

Ce que je viens de faire sur le corps à partir de quatre films on peut le réaliser sur bien d’autres domaines. On pourrait très bien interroger de la même manière l’écologie, en posant la question de notre relation à la planète Terre. On pourrait le faire par rapport à l’exploration spatiale et sa dimension éthique. On pourrait le faire par rapport à la ville, la cité qui est un espace libre de circulation et qui, dans l’avenir, pourrait peut-être l’être un petit peu moins, voire plus du tout. 

Ce que nous avons fait ici, on l’a fait à une seule condition : c’est en évitant un cul-de-sac dans lequel nous a entraîné la culture de la consommation. Il s’agit de la culture du Kleenex : « Vite consommé, vite jeté et vite remplacé ! » Ce qu’on a fait ensemble, c’est simplement prêter pleine attention à la culture contemporaine, à la culture science-fiction, à la pop culture, à la culture digitale, peu importe le nom qu’on lui donne. On a utilisé la même attention que l’on a pour la culture dite classique. Quand on étudie du Verlaine, du Rabelais, du Rimbaud, que sais-je encore, du Shakespeare ou du Victor Hugo. Et c’est en ayant cette attention à la culture contemporaine, à à votre culture, que vont émerger tous les ferments qui vont nous permettre d’apprendre à comprendre les enjeux de l’avenir, l’incertitude du futur.

Alors… Je n’ai plus qu’une chose à vous dire pour clore mon propos, c’est : dans le voyage qui nous mène vers cet avenir, qui en permanence nous percute, eh bien, bon voyage en terre de science-fiction ! ♦︎ OP

 

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