Le contact avec les extra-terrestres et les secrets du cerveau incarne de nouvelles frontières. Un imaginaire d’ouverture qui symbolise des promesses enthousiasmantes, des voyages sidérants. Peut-être aussi une métaphore pour les temps qui courent.
Une proposition de Christian Gatard.
En matière de prospective le thème du contact est particulièrement prometteur.
On peut qualifier le contact de bien des manières. Un moyen d’enrichir son réseau, de se sentir exister, de ressentir davantage d’émotions, d’explorer le monde, d’en jouir davantage, d’avoir plus de clients, de fans, de contrats. On laisse parfois entendre que les aspirations à entrer en contact avec quelque chose d’autre pointeraient un manque. Comme si on avait perdu le contact avec tant de choses qu’il serait nécessaire de partir ailleurs à la recherche d’un objet disparu, d’un âge d’or, d’un Jardin d’Eden. Evidemment réduire l’aspiration à créer du contact à une tentative de soigner une souffrance existentielle, ça plombe un peu l’ambiance. Serions-nous si mal en point que notre seule option serait la fuite en avant pour aller voir si l’herbe est plus verte à côté?
Ce n’est pas ce que révèle une prospective attentive aux mutations en cours et vigilante sur les signaux faibles.
La prospective est une anticipation créatrice, elle ne biberonne pas aux prophéties aigres des Cassandres et autres prévisionnistes mélancoliques. La prospective est fille de la curiosité et la curiosité est ce qui va donner demain à la notion de contact sa saveur et son savoir-faire. Ce n’est pas pour autant une ballade sans danger : rien ne manque au bonheur de Psyché, si ce n’est de connaître le visage et le nom de son amant nocturne dit le mythe qui prévient des risques que prit la belle à vouloir découvrir les traits du dieu qui la visitait incognito. Mais se mettre en danger est aussi le propre des humains… que va-t-on découvrir quand le contact sera établi avec les étoiles… ou les secrets du cerveau ?
L’imaginaire du contact est une promesse d’aventure !
Contact ! L’expression dit bien ce qu’elle veut dire : il faut se mettre en route.
Le contact est une promesse majeure pour les nouveaux découvreurs.
Une nouvelle génération hybride de savants et d’artistes est en train de s’emparer des secrets de l’univers. On ne sait pas encore tout à fait comment les nommer, ces nouveaux découvreurs : sapiteurs ? aventuriers de l’éventuel ? geeks théosophiques ? Ils sont inspirés par leur maitrise de la technologie, ils sont sensibles aux nouvelles formes de spiritualité, ils explorent la matière calculée avec un regard émerveillé. Ils intègrent la complexité du monde et métissent leurs savoirs et leurs intelligences. Ils nous laissent parfois (voire souvent) un peu béats devant leur virtuosité. Qui comprend vraiment la mécanique quantique ? Heureusement on a des Etienne Klein comme passeur. Qui comprend ce qui se découvre dans le cerveau ? Heureusement on a des Rémi Sussan comme guide. Ils se donnent comme objectif une double promesse. Le contact avec les secrets de l’univers, d’une part, l’infiniment grand, le cosmos. Le contact, d’autre part, avec ceux de l’infiniment petit, le nanomonde, l’échelle atomique et moléculaire. Voilà deux scripts prometteurs en émotions, en sensations, en sidérations. Le 21ème siècle ne va pas cesser de nous étonner : l’attente, la recherche et l’avènement de ces deux jonctions avec des univers inconnus vont bouleverser notre compréhension du monde ou à tout le moins notre regard sur lui : l’infiniment grand et l’infiniment petit, c’est une aventure aux confins du savoir, de la technologie et de la philosophie.
De quoi ces contacts sont-ils le nom ? De la puissance de la curiosité à explorer l’au-delà des frontières de la connaissance quels que soient les risques. La recherche du point de contact avec l’inconnu, nouvelle frontière toujours repoussée, est le défi de ces risque-tout du futur.
Quels imaginaires suscitent-ils ?
L’imagination centrifuge, le contact avec les extra-terrestres est peut-être pour bientôt. Celui avec la figure de l’étranger c’est pour tout de suite.
L’imagination centrifuge ? C’est celle qui nous porte vers un ailleurs. Elle nous entraine hors de notre sphère immédiate. Elle nous fait voyager.
Les extra-terrestres ? La Science-Fiction en a fait un genre à part entière. Hollywood l’a incarné tant et plus. La question n’est pas ici de savoir s’ils existent (ce qui est une hypothèse excitante néanmoins) mais de se pencher quelques instants sur ce qu’ils disent de nous. Le motif est connu et répliqué dans l’Histoire : apparitions d’anges et de vierges pures, OVNI, poltergeists… Que tout ceci soit de l’ordre de l’inconscient collectif (hallucination collective pour C.G.Young et les soucoupes volantes) ou de l’effet psi (action de la pensée sur la matière pour O.Costa de Beauregard), à chaque occurrence il s’agit d’un contact avec du nouveau, du curieux, de l’imprévu, pensé comme une intervention d’un autre radicalement autre… Si les extra-terrestres arrivent nous serons les indigènes voyant débarquer Colomb aux Amériques, les papous des années 30 apercevant l’australien Michael Leahy dans la jungle de Nouvelle-Guinée.
Des futurologues avisés estiment qu’en cas de premier contact avec une civilisation extraterrestre les porte-paroles de l’humanité toute entière devront être les artistes et les philosophes bien avant les militaires et les politiques.
C’est sans doute ici qu’il faut appuyer et cerner ce que sera cet imaginaire du contact : une façon créative de négocier la différence radicale entre soi et les aliens et pour ce faire en appeler à d’autres modes de relations, de négociation, de vivre-ensemble avec eux.
Si la prospective a quelque chose à nous apprendre, c’est qu’on a intérêt à s’entrainer pour accueillir ce genre d’évènements. En invitant les artistes et les philosophes dès aujourd’hui à nous apprendre à négocier avec l’imprévisible, on apprendra peut-être à se réconcilier avec l’alien qu’est la figure de l’étranger, c’est à dire, par les temps qui courent, à peu près tout le monde. Imaginer des scenarios de contact avec les extra-terrestres c’est peut-être se préparer à vivre ensemble d’une façon à peu près décente avec nos frères humains. Ça fait un peu grandiloquent mais ça mérite qu’on y passe un moment. Quand ils arriveront on sera prêt. Il semble qu’il y a urgence.
Le contact est une promesse majeure pour les nouveaux hédonistes
Du plaisir et des bonnes choses, parlons-en justement… Que se passe-t-il chez les humains peu soucieux de ces découvertes majeures mais finalement assez ésotériques ? De quoi le contact est-il le nom pour qui ne s’intéresse qu’à soi, qu’à jouir de la vie avant que le ciel ne lui tombe sur la tête ? On ne va d’ailleurs pas lui jeter la pierre, il y a un temps pour tout, dit l’Ecclésiaste.
Le monde qui vient sera plus sensuel et sensoriel que jamais. Il exigera un contact physique avec les objets du réel quand le virtuel semble nous en éloigner. On va assister au retour triomphal des cinq sens. Cela passe déjà par le pouce de la Petite Poucette de Michel Serres qui caresse et étreint les écrans de ses appareils. Les « physio-plaisirs » de demain s’emparent de matières et de substances qui jouent sur le contact : l’intensification de l’odorat avec les expériences sensorielles et les signatures olfactives comme le propose l’Hôtel Amour avec les fragrances swing de Scentys, l’énergie brute toujours plus intense du son des concerts rock dans les oreilles de mon voisin de siège dans le TGV, le binge drinking toujours plus dévastateur chez des adolescents toujours plus jeunes, les recettes de plus en plus absurdes des riches Romains de la Décadence. Le nouvel hédonisme c’est le contact du corps, le corps à corps avec la matière brute, avec la sensation sauvage. On fixera son attention de plus en plus obstinément sur le moi-peau (pour détourner une idée chère au psychanalyste Didier Anzieu : c’est par ma peau que je suis en contact avec le monde – et j’y tiens, à ma peau, – je la cajole, c’est tout ce dont je suis sûr, elle m’englobe et me protège). Donc avant même de tout savoir sur le cerveau, le cerveau, lui, sait très bien ce qu’il veut et c’est de jouir du monde (avant qu’il ne parte éventuellement en déconfiture).
Le contact est une promesse majeure d’ouverture
Revenons à l’idée de l’obsession du nombre de contacts dans les réseaux sociaux où chacun lance son filet pour attraper, agréger, faire multitude – ce qui est passionnant c’est que ça marche! La notion de contact issue des romans d’espionnage est une acception un peu désuète mais appelée à reprendre du poil de la bête: la personne qui peut donner accès à quelqu’un d’autre ou à quelque chose – un contact – c’est précieux, c’est une fenêtre ouverte sur le monde. C’est une bouteille à la mer que me lancent les jeunes Togolais que j’ai rencontrés au Forum des Jeunes Entrepreneurs du Togo. Et bien entendu cet exemple est un signal. Après ma conférence les demandes d’amitié sur Facebook, les connections sur Twitter et LinkedIn montaient en rafale. Bien sûr, ce n’était pas tant à moi en tant qu’individu que s’adressaient ces jeunes gens énergiques et enthousiastes. Ils saisissaient là l’occasion de prendre contact avec un médiateur possible, avec le messager du monde extérieur – aussi enthousiaste qu’eux à accepter ce contact. J’étais le symbole d’une ouverture vers une industrie culturelle féconde. L’inverse était tout aussi vrai, voire davantage: leur aspiration à obtenir ce contact avec moi n’avait d’égale que la mienne à écouter leur énergie et leur savoir.
Christian Gatard
Une première version de cet article est paru dans Influencia en 2014
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