Kostroma, Russie.
De la ville, il ne reste presque rien. Comme si une énorme moissonneuse batteuse avait rasé la région. À la différence qu’une moissonneuse batteuse ne vitrifie pas le sol sous les gravas. À la différence aussi qu’une moissonneuse batteuse ne rend pas la région impropre à la vie sur des dizaines de kilomètres à la ronde, et ne fait pas 230 000 morts.
Comme souvent, on ne saura jamais qui a réellement donné l’ordre, qui a déclenché la mise à feu, ni même qui a oublié de prévenir d’une intervention d’entretien de routine sur l’ouverture du silo. Une erreur stupide, un enchaînement mortifère, un jusqu’auboutisme effréné, des prétentions modernes appuyées sur du matériel antique… Allez savoir. Le silo ultra secret, caché sur l’ancienne base des SS17 de Kostroma à moins de 350 km de Moscou et qui contenait le prototype de la dernière version des SS48 Umbrella, devint l’épicentre d’une détonation nucléaire qui forma un cratère de près d’un kilomètre de large. Les SS48 Umbrella emportaient 48 têtes nucléaires qui, arrivées en limite d’atmosphère se deployaient et prenaient 48 chemins différents pour toucher la même cible, ou plusieurs. Une version « agile » à la puissance équivalente à une Tsar Bomb, soit environ 50 MT.
Nul doute que le chant du cygne de l’humanité pourrait être sublime. Un son et lumière apocalyptique ahurissant. Kostroma fut, en tout cas, le point final à l’envie d’utiliser ces armes contre l’occident. Il faudrait des années avant d’analyser les tenants et aboutissants de l’accident. La piste privilégiée était celle de la porte du silo resté fermée… Mais rien n’était moins sûr. Après 15 ans de conflit ukrainien, Moscou était au bord du gouffre. Financier, d’abord, démographique ensuite, et géopolitiquement pour finir. Poutine avait essoré les pays alliés, la Biélorussie en tête, jusqu’en 2028, où la population s’était retournée contre le gouvernement lors du printemps de Minsk. Affaiblie par sa participation active au front ukrainien, l’armée n’avait pu empêcher la prise de pouvoir de la résistance. La Russie avait accueilli les pro-russes, puis avait retourné ses forces contre le nouveau gouvernement. Ainsi poutine laissa la Russie à son successeur Olev Tsezar Petrovich à sa mort. L’espoir d’une autre politique fut vite effacé. On ne remplace pas son beau-père en ayant une vision du monde différente. Le front s’etendait sur plus de 2500 km.
A gauche, les démocraties occidentales, dont l’armée récemment coalisée d’Europe, l’Eurofor, avait pris le commandement officieux, et alimentait les combattants ukrainiens et bientôt majoritairement des mercenaires. À droite, la Russie. N’ayant jamais réellement réussi à fédérer des alliances solides, et après avoir siphonné les finances des alliés historiques Biélorusses, nord-coréens et quelques rares autres financements officieux, se tournait depuis 2029 vers les États africains. Il faut dire que depuis plus de 10 ans, la politique Africaine russe avait été redoutablement efficace. Le principe était simple. Chaque pays africain était plus ou moins soutenu par une nation du Nord. Il suffisait de retourner la population contre cette nation, lentement, insidieusement. Puis inonder d’argent, d’armes, de milices de sécurité ces pays. Prendre le contrôle du gouvernement, et rendre le pays incapable de refuser une aide déjà présente à tous les étages, dans tous les rouages de la machine politique et économique.
Exit les français, les anglais, les libanais. Ce fut plus compliqué pour la Chine qui revendiquait aussi la même politique. Mais les tractations avaient tourné à l’avantage territorial de la Russie, la Chine récupérant les monopoles d’achats à bas coûts des matières premières extraites dans le domaine des nouvelles technologies. La Russie avait cependant perdu son plus gros pari. Si la Chine avait accepté d’officialiser son soutien à la Russie, en offrant sa puissance économique, militaire et technologique, alors la guerre aurait pu voir une fin rapide. L’Ukraine serait tombée, puis les autres pays de l’ex URSS, l’Europe aurait été durablement déstabilisée, entraînant une crise continentale semblable à celles de 1918 et 1945, et renforçant encore la puissance américaine. De plus, un conflit mondialisé voyant les forces américaines prendre part physiquement aux combats était un risque non négligeable, et semblait pour Pékin une bien mauvaise opération économique. Pékin vendait 93% du matériel technologique mondial. Il était en course pour conquérir Mars, établissant aussi de son côté une base lunaire.
Voir une superpuissance comme la Russie devenir progressivement dépendante des armes et technologies chinoises, tout en maintenant de bons rapports avec l’Europe et les USA, étaient des objectifs bien plus convaincants. Quand les USA, très engagés dans la courses aux nouvelles technologies, le Web3, les métavers, et la construction de leur base lunaire, prit conscience de l’ampleur de l’influence russe en Afrique, il était trop tard.
De toutes façons, ils menaient une politique assez similaire en Amérique du Sud. Si Moscou était alimenté financièrement par les dictateurs africains, ils utilisaient aussi sa puissance humaine. Le pacte de 2030, liant les états africains et la Russie, fournissait un passeport russe à tout immigrant africain. Ainsi, poussés par un dérèglement climatique toujours plus violent, l’exode de masse prenait la direction des zones rurales russes. Sauf que le contrat imposait 5 ans de service sous le drapeau à chaque homme entre 18 et 35 ans arrivant sur le sol russe.
Ainsi la Russie menait sa guerre, avec l’argent des africains, et avec leur sang. C’est à ce prix qu’on pouvait profiter, à faible coût, d’une maison, et d’un lopin de terre… Non loin de Kostroma. Les réfugiés climatiques avaient donc le choix entre l’esclavage moderne au profit des superpuissances dans un pays devenu invivable climatiquement, et survivre 5 ans dans les guerres des autres pour finir par vivre sur les restes fumants de régions irradiées. Tel était le prix de leur passeport mortel.
Crédits image : Pixabay.com
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