Deux ou trois choses que « TIME OUT », le film de Andrew Niccol, parlant de demain, nous dit sur aujourd’hui…
« Dis-moi quel film tu regardes, je te dirai quel avenir tu te prépares », parole de prospectiviste !
Réalisation : Andrew Niccol
Scénario : Andrew Niccol
Acteurs principaux : Justin Timberlake, Amanda Seyfried, Olivia Wilde, Cillian Murphy
Production/Distribution : Regency Entreprise, Regency Pictures, Strike Entertainment et 20th Century Fox (Distribution)
Durée : 109 min.
Année : 2011
Time Out, le film d’Andrew Niccol, fait partie de la catégorie « anticipation » de la science-fiction. Mieux que cela, Time Out est une anticipation sociale. Là, point de vaisseaux spatiaux, de pistolasers… encore moins d’extraterrestres… juste une projection, une transposition de nos sociétés dans des avenirs spéculatifs. Ainsi, Time Out rejoint des romans comme 1984 de George Orwell ou La servante écarlate de Margaret Atwood.
L’anticipation du monde de Time Out propose principalement deux postulats sociaux, sur deux hypothèses : la disparition de la monnaie fiduciaire (pièces et billets) et le cloisonnement de la ville. La tension du développement de l’intrigue, quant à elle, repose sur une licence créative, un unique élément de suspension consentie de l’incrédulité : dans cet avenir, les humains sont tous génétiquement modifiés pour ne plus vieillir à compter de 25 ans.
Dans cet avenir, le temps remplace l’argent ; le « temps à vivre » s’échange, se troque, est volé, est thésaurisé… Alors, pour éviter une inévitable surpopulation — potentiellement immortels, les humains ne sont pas pour autant stériles —, les humains meurent de « pauvreté temporelle », quand ils n’ont plus de temps à vivre… A l’inverse, la richesse est synonyme de décennies. Mieux : de siècles ! Ce temps qui vaut de l’or est affiché sur un compteur, un tatouage évolutif et lumineux qui devient terne quand le « temps à vivre » atteint zéro. De plus, comme une mesure de « paix sociale », cette métropole du futur est divisée en différents quartiers, des territoires déterminés par le niveau de vie de ses habitants. Là, des péages sanctionnent le passage d’une zone à une autre. Le coût de ces péages se comptant, bien évidemment, en temps : en semaines… en mois !
Si certains films indiquent une date future au moment de laquelle se déroule l’intrigue — peu importe que cette distance dans l’avenir soit accessible ou pas, d’autres laissent imaginer une forme d’évaluation de cette distance car les postulats et la license créative ne sont guère éloignés de notre présent et semblent accessibles. Time Out , lui, ne donne que très peu de moyens pour évaluer, pour se figurer le temps qui nous sépare de cette anticipation, peu importe qu’elle soit souhaitable ou non. En effet, les différences technologiques ou sociales avec notre présent sont ténues. Les lieux, les objets que nous croisons tout au long du film sont ceux que nous pouvons côtoyer au quotidien. La principale de ces différences, comme dit plus haut, repose sur un fait devenu une généralité non discutée. Il s’agit d’un eugénisme d’État, celle d’un contrôle génétique qui s’applique à l’ensemble de la population. C’est le rêve des transhumanistes devenu réalité — la mort de la mort — qui, dans le film, vire au cauchemar pour une certaine partie de la population : les pauvres qui vivent dans leurs ghettos.
Ce sujet, l’eugénisme d’État, est cher au réalisateur : il l’avait déjà exploré dans le film qui l’a fait connaître au grand public, Bienvenue à Gattaca ! Dans ce premier long métrage, dont on retrouve une certaine part d’esthétisme dans Time Out, l’eugénisme social incite les parents à ne concevoir des enfants que sous contrôle médical du génotype de l’enfant à naître. Le hasard d’une procréation naturelle engendrant trop de risques de déficiences et de potentielles maladies dont la société ne souhaite plus porter la charge. En analysant ainsi les deux films, on pourrait alors s’autoriser à envisager que Bienvenue à Gattaca soit en fait les prémices de la société décrite dans Time Out. Une sorte de préquelle qui, ainsi, repousse toujours plus loin dans l’avenir l’éventualité qu’un tel scénario advienne.
Cependant, par sa proximité conceptuel, Time Out semble s’adresser à notre présent. Pourquoi ?
Si on reste loin et même très loin d’un avenir où l’humanité serait capable, un, d’éradiquer génétiquement la mort et, deux, de transférer à l’ensemble de la population humaine une telle mutation génétique, les deux postulats sociaux, eux, ne sont peut -être pas si éloignés que cela de nous. Ainsi, commençons par prendre le cas de la ville cloisonnée et posons-nous la question « Nos villes sont-elles sous la menace de ne plus être des espaces urbains d’échanges et de libre circulation ? ». Après un oui immédiat et évident, à bien y réfléchir, on pourrait parler de certaines populations qui s’interdisent à se rendre dans certains lieux, théâtres classiques, opéra, lieux de conférence — ce qui peut arranger une autre tranche de la population. Ailleurs, ce sont certains quartiers où la représentation publique n’est plus souhaitée — pompiers, plombiers et électriciens… on ne parle même pas des forces de l’ordre, ces interdictions de libre circulation servant des intérêts privés sur des denrées illicites, ces interdictions pouvant aller jusqu’à entraver le quotidien-même d’habitants de ces quartiers.
À lire ce paragraphe, on serait en droit de dire que l’auteur tire un peu rapidement et avec une forme de légèreté des ficelles qui servent son propos. Peut-être… Cependant, la liste des exemples dérangeants peut continuer à s’allonger en y ajoutant les communautés closes, les communautés élitistes dont le nombre, à l’échelle de la planète, ne cesse de croître. Il faut alors commencer par citer Orania, en Afrique du Sud. Cette ville privée fleure bon (ad nauseam) l’Apartheid puisqu’on y vit, de manière revendiquée et assumée, qu’entre blancs. Moins sulfureuse mais tout aussi dystopique sous des atours alléchants, il faut ensuite citer The Line-Neom, le projet urbain le plus dantesque qui soit : un seul et unique bâtiment long de 170 km, haut de cinq cents mètres et large de deux cents. Prévu pour être bâti au milieu du désert saoudien, ce projet est promu par Mohammed ben Salmane, l’actuel homme fort d’Arabie Saoudite. Neom n’est pas une accumulation d’immeubles collés les uns aux autres mais un unique espace clos, climatisé et contrôlé, cantonné à l’intérieur de cette construction. Il faudra bien évidemment montrer patte blanche et compte bancaire bien nanti pour compter parmi les « élus » de The Line. Si ces exemples demeurent extrêmes et hors des frontières de France et d’Europe, chez nous, on parle les « quartiers de riches ». Tous ces éléments pourraient être les graines de l’avenir tel qu’il est décrit dans Time Out.
Reste maintenant à analyser le deuxième postulat social du film : la disparition de la monnaie fiduciaire.
Déjà, un constat : malgré la montée en puissance des paiements dématérialisés, nous utilisons toujours billets et pièces de monnaie trébuchantes. Cependant, divers phénomènes sont en voie de déploiement. Même si rien ne les relie, ils pourraient bien, à terme, aboutir à la disparition de la monnaie fiduciaire au profit d’une monnaie dématérialisée. Cette éventualité n’étant qu’un des aspects d’un contrôle des individus quasi total exercé par l’État.
Pour en arriver à l’avenir tel qu’il est décrit dans le film, hormis l’aspect génétique, il aura fallu que la dématérialisation de notre quotidien ne cesse d’augmenter. Il aura fallu que les données collectées ne cessent de converger. Il aura fallu qu’au nom du confort et de la tranquillité des esprits et des corps, le citoyen ait abdiqué à bien des libertés. Et pourtant, en termes de convergence, il semblerait bien que nous prenions un chemin qui pourrait tendre vers… cet avenir. regardez, quand vous remplissez votre déclaration d’impôts, voilà quelques années que celle-ci se trouve préremplie de vos revenus de l’année qui précède, grâces aux informations liées à vos activités « travaillées » ou chômées collectées par l’administration fiscale auprès des organismes sociaux, l’Urssaf pour la France. Un pont informatique a donc bien été bâti entre ces deux administrations.
En ce qui concerne la dématérialisation de l’administration, les choses ne vont pas s’arrêter là. Prochaines étapes annoncées : la généralisation de l’application de l’intelligence artificielle aux vidéosurveillances urbaines et le passage du dossier papier à celui numérique. Plus lointain, mais on en parle de temps en temps, surtout en regardant ce qui se fait à l’extérieur de nos frontières, il s’agit du vote électronique. Pour chacun de ces exemples, il existe des avantages objectivement utiles. Ainsi, concernant la vidéosurveillance, l’usage de l’IA sera testé lors des J.O. de Paris 2024 : cela permettra d’identifier des comportements suspects et de suivre un individu jugé dangereux. Les responsables et les autorités garantissent qu’il n’y aura pas d’identification systématique de l’ensemble des personnes présentes à l’image… bien que la machine sera tout à fait capable de la faire. Dans le cas du dossier médical, bien des malades verront leur quotidien simplifié une fois que n’importe quel médecin pourra avoir accès à l’ensemble de leur dossier médical sans risque de pertes de pièces, d’analyses, de compte-rendu de scanner, de radio… Il faut juste qu’un petit malin ne trouve pas moyen de collecter ce genre de données en masse pour les revendre au plus offrant… Il en va de même pour le vote électronique qui, malgré les sécurités garanties et les discours rassurants, trace une voie vers une manipulation de nos institutions démocratiques.
Ainsi, à chaque fois que l’on évoque la dématérialisation d’un aspect du réel tangible, on prend deux risques : l’un est celui de la manipulation, car l’informatique n’est pas une science exacte ; dans chaque ligne de code se cache une trappe qui, si elle n’est pas systématiquement utilisable par la malveillance de pirates informatiques, elle n’en mine pas moins le rapport de confiance entre le individu-citoyen et l’opérateur, qu’il soit public ou privé.
Le deuxième risque est l’exploitation des données à l’encontre de l’individu propriétaire de ces mêmes données. Prenez le cas de montres connectées qui savent tout de nos activités physiques et donc de l’évolution de notre santé ; ces montres n’enregistrent-elles pas nos faits et gestes, les rythmes de notre cœur, la qualité de notre sommeil ? Autant de données qui seraient très utiles à un assureur pour évaluer les risques liés à tel ou tel client qui aurait tel ou tel mode de vie ! Heureusement, la France et l’Europe semblent avoir fermé la porte à de tels usages des données individuelles. Ainsi, la Belgique a modifié sa loi relative aux assurances en précisant qu’il était interdit à une assurance de refuser un contrat ou d’augmenter le coût d’un produit si le client assuré refusait d’acquérir ou d’utiliser un objet connecté. De même, il est interdit d’opérer une segmentation tarifaire en fonction des données collectées relatives au mode de vie.
Pourtant, à l’autre bout de la planète, un état, la Chine, a déjà franchi bien des jalons, bien des interdits — d’un point de vue occidental — évoqués plus haut. Année après année, la Chine a mis en place un système de notation social — certains chinois y voit un jeu grandeur nature — qui pour les plus vertueux des citoyens leur simplifie la vie quant à leur concitoyens moins bien notés, ils voient leur accès à tel ou tel service — accès à une administration, achat d’un billet de train — restreint. En Chine, la convergence des informations concernant un même individu permet de payer que ce soit pour un service ou un bien avec son seul visage sans auparavant s’être inscrit au service de distribution utilisé. Terreur pour certains, confort pour d’autres. Et, finalement, on s’aperçoit qu’on est pas si loin du monde de Time Out !
Au cours de cette analyse, il a été fait plusieurs fois mention de démocratie, de citoyenneté, de libertés. On pourrait ajouter à cette liste le respect de la vie privée, le droit à l’oubli numérique, le droit au tangible ! Qu’on le veuille ou non, les outils numériques sont là, dans notre quotidien et ils y resteront. Par contre, parce que nous sommes en démocratie, nous avons le droit et le devoir, par notre vote, de faire savoir ce que nous voulons comme usages pour ces outils. Si le confort est légitime, il ne doit pas pour autant mettre en danger notre liberté et notre démocratie. Elles ont été acquises par nos mères et nos pères de hautes luttes. Et, si le présent est prêt à s’accommoder avec certaines collusions coupables — « si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit » — ne pensez-vous pas que, cependant, il doive à l’avenir le respect et l’usage de sa liberté d’agir ?
Toutes ces analyses sont également rassemblées sur www.sciencefictiologie.fr, site dédié à la science-fiction qui éclaire le présent, grâce à la plume, le crayon, l’objectif et l’œil des auteurs !
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